La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse - Entretien

Alban Richard

Alban Richard - Critique sortie Danse
Alban Richard crée pour le duo Max Fossati / Mélanie Cholet

Publié le 10 septembre 2007

Lointain ou l’impossible emboîtement

Pour Temps Danse d’Automne, Alban Richard se lance dans la forme du duo, sur les envolées de la musique de Wagner. Très déterminé sur les processus de sa création, il nous emporte dans les coulisses de l’œuvre et nous parle de son obstination face à un pari chorégraphique.

La musique de Wagner, issu de son opéra Tristan et Isolde, est un élément moteur. Est-ce une nouveauté dans votre travail ?
Pas vraiment, c’est un peu un retour à un travail musical car j’avais déjà créé des pièces sur Purcell ou des compositeurs contemporains. Ici, c’est presque un pari imbécile, un cliché de travailler sur un duo homme-femme avec cette musique-là !

Sera-t-on vraiment dans ce cliché de l’amour impossible porté par l’histoire ?
J’ai toujours mis en place des structures chorégraphiques qui traitent du groupe et de l’individu à l’intérieur du groupe. Je me retrouve ici face à un homme et une femme, avec tout ce que cela comporte comme connotations sociales, sexuelles…. L’idée est de se confronter à cette musique, qui parle en effet de l’amour impossible, mais sans en faire le sujet de la pièce. Les corps masculin et féminin vont être traités de façon androgyne, et le sujet devient vraiment l’émotion musicale. La structure temporelle et dynamique des danseurs est complètement indépendante de la trame musicale : les danseurs travaillent au métronome, sans lien avec le tempo musical ou la mélodie.

« Comment laisser part à une complexité de lecture, sans proposer une structure chorégraphique qui irait d’emblée dans le même sens que la structure musicale ? »

L’émotion musicale est-elle une inspiration pour vous et pour les danseurs ?
La musique a sa propre structure, sa propre façon de fonctionner, et c’est plutôt la juxtaposition de processus musicaux, chorégraphiques et lumineux autonomes qui m’intéresse. Mis ensemble, ils vont travailler, se tisser et être interdépendants. Après, l’intérêt est de trouver la porosité entre les trois !

Cela appartient alors au spectateur…
Oui. Comment laisser part à une complexité de lecture, sans proposer une structure chorégraphique qui irait d’emblée dans le même sens que la structure musicale ? Pour cela j’ai travaillé uniquement sur des postures. Les danseurs en ont 40. Tout le travail porte sur un emboîtement impossible de ces deux corps, comme ce qui arrive à Tristan et Iseult : dans la légende, il n’y a aucune consommation de l’amour. La structure de l’opéra, c’est le recherche d’une note, qui arrive à la fin, à la mort d’Iseult. Je trouve cette recherche très intéressante autour de ce pied de voûte, cet impossible emboîtement. Tout réside dans cette recherche des 40 positions dans l’espace, d’une possibilité d’emboîtement qui n’arrive jamais.

C’est l’idée du geste impossible qui traverse la danse…
Oui, c’est comme s’il y avait une sorte de trou, de faille. Ce qui m’intéresse, c’est le décalage entre ce qui se passe sur scène, la façon dont on relie les positions entre elles dans des temps différents, mais c’est aussi le romantisme et la narration. La forme narrative vient de la musique qui est une sorte de catalyseur, comme au cinéma. Mais la danse est absolument non fictionnelle. Lointain démarre sur une sorte de chose idyllique et contemplative, sur un effet théâtral, sur une beauté très premier degré avec des corps dans la pénombre. Au fur et à mesure que la pièce se déroule, on abandonne cette poésie théâtrale pour voir les lumières, le plancher, les métronomes qui permettent aux danseurs de garder leur distance avec la musique.

Et dans ce dévoilement, continuez-vous à travailler sur la nudité comme dans votre précédente pièce ?
Non, pas du tout. Les danseurs sont Max Fossati et Mélanie Cholet, qui travaillent avec moi depuis longtemps. Ce sont deux personnes physiquement proches, il y a une androgynie plus facile par rapport au traitement corporel que je recherche. Ce qui m’intéresse avec eux, c’est de poser vraiment les processus d’une pièce, de s’y tenir et de ne pas faillir. Il y a cette espèce d’obstination qui pour moi est très importante.

Arrivez-vous à ne pas faillir ? En s’attachant à ce point au processus, n’élimine-t-on pas la part du hasard qui forcément s’immisce ?
J’essaye vraiment de me contraindre aux processus, puisque c’est dans ces contraintes-là que peut-être apparaît, certes une obstination, en tout cas l’intérêt de la pièce. Cela m’oblige à une écriture chorégraphique très forte. Mais il y a toujours quelque chose de l’ordre de l’apparition, de la nouveauté. Je m’intéresse aux variations, transformations, mutations à l’intérieur d’une seule et même proposition. Cela permet aussi aux interprètes de se situer dans un engagement fort car la structure chorégraphique et temporelle ne leur permet pas de s’échapper.

Propos recueillis par Nathalie Yokel


Lointain, d’Alban Richard, les 12 et 13 octobre au Forum de Blanc-Mesnil, 1/5 place de la libération, 93150 Le Blanc-Mesnil. Tel : 01 48 14 22 00. www.forumculturel.asso.fr

A propos de l'événement


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