After all, mise en scène de Séverine Chavrier

La création de sortie d’école du Centre National des Arts du Cirque (CNAC) est un rendez-vous annuel attendu par la profession et les amateurs des arts de la piste. Il est donc de la responsabilité de l’artiste qui met en scène toute une promotion de donner à voir les personnalités, les esthétiques naissantes de chacun. On attend également de lui un véritable geste artistique. Les pièces créées à Châlons-en-Champagne marquent ainsi parfois l’histoire du nouveau cirque. C’est par exemple le cas du Cri du caméléon mis en scène par le chorégraphe Josef Nadj, en 1996. L’an dernier, Raphaëlle Boitel signait avec Le Cycle de l’absurde un superbe spectacle en clair-obscur, où le constat de la vitesse, de la superficialité de l’époque était traversé par une lueur d’espoir qui s’exprimait par des corps capables de toutes les audaces et inventions, aussi bien de façon individuelle que collective. Invitée par le CNAC à s’occuper de la 33^ème promotion, Séverine Chavrier, directrice du Centre Dramatique National d’Orléans, part elle aussi d’un sombre constat. Mais elle ne trouve guère de voie, même étroite, vers la sortie. Après les confinements successifs, Séverine Chavrier a voulu aborder avec les 15 élèves du CNAC, de 7 nationalités et de 12 disciplines différentes, « l’idée de la fête et de la dépense ».

Lendemains de fêtes

D’emblée, on comprend que son approche de ces deux sujets est large. Sur un gazon synthétique où trône un grand portique pour deux trapèzes et une balançoire, des artistes aux visages dissimulés par des têtes de clown, toutes les mêmes, revisitent les jeux de l’enfance. Ils y apportent du trouble, une forme de décadence qui ne va cesser de se décliner tout au long du spectacle, présenté comme le fruit d’une écriture collective. Dans After all, fête n’est guère synonyme de joie et de légèreté. Au contraire, de la noce au sens très large, Séverine Chavrier et les quinze artistes ne retiennent presque que les côtés sombres : la solitude, la défonce, la fatigue… Si bien que davantage que la fête, c’est plutôt de ses lendemains que semble traiter la pièce. À travers une série de tableaux hétérogènes, qui vont des jeux d’enfants à la rave party, en passant par des scènes de dîner plus ou moins violent, After all offre une vision assez désespérante de la génération des interprètes. Lesquels peinent à faire exister ce désespoir dans la forme très théâtrale que leur propose la metteure en scène. Le corps et le travail d’agrès sont en effet souvent sacrifiés dans After all, au profit de danses désarticulées et de moments plus théâtraux, assez inutilement filmés en direct et diffusés sur deux écrans qui nous éloignent du plateau. Dans ce marasme collectif, peu d’individualités parviennent à émerger. On imagine toutefois que cette expérience très théâtrale aura appris beaucoup à ces artistes, qui connaîtront de meilleures soirées.

Anaïs Heluin