Maîtres anciens de Thomas Bernhard, mise en scène de Gerold Schumann
Les Déchargeurs
Publié le 2 janvier 2022 - N° 295Pour incarner les personnages de Thomas Bernhard, il faut, selon le mot de Valère Novarina, des acteurs « pneumatiques », dont le […]
Pour incarner les personnages de Thomas Bernhard, il faut, selon le mot de Valère Novarina, des acteurs « pneumatiques », dont le coffre permet que résonnent l’ire et l’ironie de ce « détestateur » sagace. François Clavier est de ceux-là. Il se glisse à merveille dans la peau de Reger, le grand musicologue qui sert de double à Thomas Bernhard pour pourfendre toutes les hypocrisies, les veuleries, les accommodements putassiers et les lâchetés de ses semblables. Depuis trente-six ans, Reger s’assied, un matin sur deux, sur la banquette de la salle Bordone, au Musée d’art ancien de Vienne, pour y contempler L’Homme à la barbe blanche du Tintoret. Il se rend ensuite à l’hôtel Ambassador, pour y passer l’après-midi. Le dialogue avec le maître vénitien est l’occasion pour Reger de faire le bilan de tout ce qui l’irrite et le scandalise. Tour à tour débonnaire, grinçant, désabusé, hautain, François Clavier fait jouer une large palette d’émotions pour restituer la violence et la densité du propos de Bernhard. Son Reger ne se laisse pas aller sur la pente glissante de l’hystérie : toujours élégant, tenu, il déteste le monde avec la clairvoyance acérée de ceux qui n’ont que faire de la diplomatie des pleutres, qui se contentent de la médiocrité majoritaire, parce qu’ils croient avoir besoin des autres.
Pharisiens s’abstenir !
Mais un jour, Reger rompt ce rituel, et ce qui n’était jusqu’alors que torrent rocailleux devient maelström tourbillonnant : « l’alliance d’humour et de critique ouvre sur la satire politique, la dérision, et met en œuvre la critique sociale », remarque Gerold Schumann, qui met en scène avec précision sa remarquable adaptation du dernier roman de Thomas Bernhard. Le plateau est quasi nu : Reger est seul sur sa banquette et le mur blanc du fond de scène laisse au spectateur le soin de projeter les images et les œuvres avec lesquelles dialogue l’incendiaire censeur de son siècle. En notre époque, où, comme le remarquait Rousseau regrettant Sparte, la vertu est contrefaite par les imbéciles, la parole libre de Thomas Bernhard vaut comme viatique : François Clavier la porte avec aisance et force, comme un nocher aguerri dans la tempête. Pour compléter cette exploration lucide des mers hostiles, Serge Maggiani lira des extraits des récits autobiographiques de Thomas Bernhard les samedis 8, 15 et 22 janvier à 17h. Bon voyage !
Catherine Robert
A propos de l'événement
Maîtres anciensdu mercredi 5 janvier 2022 au samedi 29 janvier 2022
Les Déchargeurs - Nouvelle scène théâtrale et musicale
3, rue des Déchargeurs, 75001 Paris.
Du mercredi au samedi à 19h. Tél. : 01 42 36 00 50. Durée : 1h10. Spectacle vu à la Grange à dîmes d’Ecouen.