Adaptation majestueuse de « Grand-peur et misère du IIIème Reich » de Brecht par Julie Duclos
Théâtre National de Bretagne / Théâtre de Cornouaille / MC2: Grenoble / Texte de Bertolt Brecht / Mise en scène de Julie Duclos
Publié le 26 septembre 2024 - N° 325Comment la peur se saisit des âmes et des corps dans un régime totalitaire. Brecht portraiture la société allemande d’avant-guerre et Julie Duclos l’adapte majestueusement dans un spectacle aux allures d’avertissement.
Ce n’est pas le Brecht épique qui écrit Grand-Peur et Misère du IIIème Reich mais un Brecht réaliste qui ausculte la société allemande confrontée à l’installation du nazisme. Écrite entre 1935 et 1938, la pièce fait se succéder des scènes du quotidien, traversant divers pans de la société allemande, tous étranglés par le climat de terreur fasciste. Comment se met-on à se taire ? À mentir systématiquement ? À ne plus jamais exprimer sa colère ou même son désaccord ? À se méfier de tout le monde, des étrangers dans la rue, mais aussi de ses collègues, de sa famille, de son mari, de sa femme ou même de ses propres enfants. La peur qui saisit toute une société quand les milices SA font régner leur loi dans la rue et que des camps de travail esclavagisent les opposants est proprement terrifiante. De Berlin à Cologne en passant par Breslau, dans une auberge, dans la rue, chez des agriculteurs, des physiciens, un juge ou à l’hôpital, un à un, chacun et chacune cède, se tait, courbe l’échine, simplement parce qu’il essaye de continuer à vivre. On ne leur en veut pas. On sent trop bien que l’on ferait pareil à leur place et l’on se dit qu’il faut être vigilant, ne pas laisser le fascisme revenir, réagir aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard.
« J’ai voté Hitler »
Julie Duclos, artiste associée au Théâtre National de Bretagne dont elle ouvre ici la saison, laisse quelques épisodes du texte de Brecht de côté mais en saisit l’homogénéité globale via une scénographie élégante et épurée. Une paroi, un box vitré, des tables, quelques chaises et un lit, tous mobiles, lui suffisent à construire la ronde d’un décor modulable qui traverse une grande variété de situations. Comme si on tournait autour d’une seule et même situation. Comme des plans qui se succèdent en champ et contre-champ. Une musique discrète et efficace lisse le tout et installe des nuances d’atmosphères. Les personnages se tiennent à distance, leurs corps ne se touchent presque jamais. Comédiennes et comédiens, toutes et tous formidables, peuvent endosser plusieurs rôles, sans forcément changer de costume, donnant l’impression d’une étrange familiarité Et de ces espaces vastes qu’agrandit parfois un usage sobre de la vidéo émane une froide beauté d’une austérité toute protestante où rien ne semble pouvoir arrêter l’implacable expansion de la peur. Si la première scène, faisant venir du théâtre dans le théâtre, provoque le rire, la suite est invariablement sombre. Au risque d’une certaine monotonie, la mise en scène de Julie Duclos nous fait véritablement éprouver ce qu’on ne se représente souvent que sous forme d’idées, très théoriques. Le fascisme nous ferait étouffer. Quelques cris, quelques crises semblent pouvoir briser le cycle infernal. Avec Brecht, l’espoir finit toujours par surgir. « J’ai voté Hitler » s’est accroché au cou, sur une pancarte, celui qui s’est pendu dans la vitrine de son magasin.
Eric Demey
A propos de l'événement
Grand-peur et misère du IIIème Reichdu mardi 24 septembre 2024 au jeudi 3 octobre 2024
Théâtre National de Bretagne
1 rue Saint-Hélier, 35000 Rennes
Théâtre de Cornouaille, 1 Espl. François Mitterand, 29000 Quimper. Les 9 et 10 octobre à 20h. Tél : 02 98 55 98 55.
MC2 : Maison de la Culture de Grenoble, 4 rue Paul Claudel, 38000 Grenoble. Les 16 e 17 octobre à 20h. Tél : 04 76 00 79 00. du mardi au samedi à 20h, le jeudi à 19h30. Tel : 02 99 31 12 31.
Durée : 2h20.
En décembre à Lorient, St-Etienne. En janvier à Paris (Théâtre de l’Odéon). En février au TNP de Villeurbanne et au Théâtre du Nord à Lille.