La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Une Chambre en Inde

Une Chambre en Inde - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Soleil
Une Chambre en Inde, spectacle du Théâtre du Soleil. © Michèle Laurent

REPRISE / THEATRE DU SOLEIL / CREATION COLLECTIVE DU THEATRE DU SOLEIL DIRIGEE PAR ARIANE MNOUCHKINE / EN HARMONIE AVEC HELENE CIXOUS / MUSIQUE JEAN-JACQUES LEMETRE

Publié le 24 janvier 2018 - N° 262

Depuis sa création en novembre 2016, environ 80000 spectateurs ont assisté au spectacle. Le Théâtre du Soleil reprend cette fresque voyageuse célébrant l’art comme combat contre l’asservissement, à travers l’arme du rire.

Dans une chambre en Inde, le Théâtre du Soleil déploie grâce au théâtre un vaste périple qui convoque notre réel contemporain. Dans cette Inde lointaine chère au cœur d’Ariane Mnouchkine, séjourne Cornélia, qui doit assumer la direction d’une troupe de théâtre depuis que son directeur, Constantin Lear (Tchekhov et Shakespeare en un seul nom !), terrassé par l’horreur des attentats de Paris, a fui. La police l’a retrouvé nu et éméché, grimpant sur une statue du Mahatma Gandhi. Affolée, perdue, en proie à de récurrents problèmes gastriques, Cornélia (formidable Hélène Cinque !) panique d’autant plus qu’elle doit annoncer urgemment le sujet de leur prochain spectacle, qui ne peut que faire écho au chaos du monde. Mais que peut donc le théâtre lorsque le monde va si mal ? Miroir d’une impuissance ? Cri de colère ? Exhortation à lutter ? A la fois assumant et dépassant ces questions, Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil font théâtre de cette quête de spectacle avec une époustouflante maestria qui nous emporte dans un voyage sans frontières, un voyage qui par son existence même, par l’attention qu’il accorde à la beauté du geste et à notre commune humanité, répond à la question de la nécessité de l’art. L’art pour tous, qui n’est pas un symptôme comme on le voit parfois sur nos scènes contemporaines, mais un remède, une ouverture, un appel à être libre, en toute modestie et en toute lucidité. C’est une véritable prouesse qu’a réussi le Théâtre du Soleil, qui conjugue ici une exigence artistique minutieuse et une plongée dans les désordres et la violence d’aujourd’hui. Sans aucune certitude idéologique, sans aucun cynisme, mais avec le souci de l’exactitude, même si le monde est de plus en plus incompréhensible !

Rire accusateur et art valeureux

Dans cette chambre, Cornélia se désole au départ de n’avoir aucune vision pour le spectacle, mais lorsqu’elle s’endort, ses cauchemars entrent par les fenêtres. N’est-ce pas dans l’étoffe des rêves qu’apparaît aussi la vérité ? C’est le monde que le Théâtre du Soleil convoque, et ce sont des figures actuelles qu’il interroge, qu’il vilipende, et qu’il ridiculise, car contre la peur que génère la folie du monde, contre la haine brutale qui transforme les hommes en assassins, la troupe du Soleil a choisi le rire. Un rire accusateur et décapant. « Mock the villains ! » : c’est Shakespeare lui-même qui le recommande. Au premier rang desquels les terroristes islamistes de Daesh, les talibans kamikazes, les dignitaires saoudiens – champions des droits de l’homme -, les adeptes du mariage forcé et autres garants du bafouement de la dignité humaine (plusieurs de ces scènes sont hilarantes). A travers aussi des thèmes écologiques comme le réchauffement climatique et la pollution industrielle, le spectacle dénonce la cupidité humaine sans limites. Parallèlement au combat contre l’asservissement, l’art affirme au fil des scènes la puissance de ses formes ancestrales, et met en œuvre diverses mises en abyme. Le Théâtre du Soleil a initié la conception de ce spectacle lors d’un voyage en Inde en janvier 2016, lors duquel la troupe a découvert et travaillé le Theru Koothu, théâtre traditionnel tamoul très ancien et populaire, évoquant les épopées du Mahabharatha et du Ramayana. L’élan énergique de ce théâtre est un émerveillement. Cornélia reçoit aussi la visite de deux figures tutélaires et aimées. William Shakespeare (Maurice Durozier) : plume en avant, il part à l’attaque contre la vilénie. Et le médecin et écrivain Anton Tchekhov (Arman Saribekyan), accompagné des trois sœurs Irina, Macha et Olga : quelle tendresse dans le bref échange avec Cornélia… Dans la lignée de Chaplin avec Le Dictateur (1940), Ariane Mnouchkine et les siens ont réussi leur difficile pari.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Une Chambre en Inde
du samedi 24 février 2018 au dimanche 29 avril 2018
Théâtre du Soleil
Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris

Du mercredi au vendredi à 19h30, le samedi à 16h, le dimanche à 13h30. Tél : 01 43 74 24 08. Durée du spectacle : 3h30 + entracte de 15 minutes.

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