La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Syndrome de Cassandre

Le Syndrome de Cassandre - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Rond-Point
Le clown Yann Frisch et ce qui reste de sa mère. Drôle et subversif Crédit : Sylvain Frappat

Théâtre du Rond-Point

Publié le 28 mars 2016 - N° 242

C’est un clown que l’on vient voir : il en a la dégaine traîne-savate, un peu ours mal léché, un peu clodo négligé. Mais son nez – noir – a vite fait de déranger. Yann Frisch conduit de main de maître son personnage sur la pente glissante d’un humour grinçant, manipulant, sous couvert du rire et avec notre bénédiction, nos instincts les plus vils.

Un clown, seul, presque tournant dans sa cage, nous apparaît dans son petit intérieur. Mais il ne faut pas se fier aux apparences : la présence de l’un des représentants de la magie nouvelle Raphaël Navarro à la co-écriture du spectacle, et le talent virtuose de Yann Frisch qui fut champion du monde de magie close-up, posent les bases d’un solo où la manipulation – des objets comme de la pensée – compte autant que l’édification du personnage clownesque. S’appuyant sur les ressorts habituels du rire comme la moquerie, la chute, le ratage, l’absurdité, le ridicule, les situations incongrues, le spectacle nous entraîne vers un univers bien plus sombre et corrosif, tout en continuant à provoquer le rire. Yann Frisch démontre qu’il n’est pas de clown sans gravité, et nous fait répondre, à sa manière, à l’insoluble question : peut-on rire de tout ? Lorsqu’il joue littéralement avec le feu, s’enflammant d’abord la main puis vidant son jerricane sur tout le corps, il nous met face à notre manque d’empathie, notre propre indifférence, notre propre inconséquence… Oui, c’est facile de rire, nous dit-il en substance. Mais peut-on réellement croire ce clown, dont le sublime comique côtoie le tragique, quand la magie prend le relais, jouant sur les apparitions et les disparitions à n’en pas croire ses yeux ?

Troublante subversion du rire…

Il manipule les objets, leur fait dire des histoires – à ne pas mettre entre toutes les oreilles. Ainsi, un broc et une tasse donnent corps en filigrane à la question de la maltraitance des parents vis-à-vis des enfants, sujet qu’il incarne et renverse ensuite en donnant vie et mort à un mannequin qui figure sa propre mère. Psychose n’est pas loin mais ce Norman Bates transfigure l’angoisse et l’horreur par la drôlerie. Sa folie, sa solitude, ne sont rien sans les spectateurs. Il vit à travers leurs regards, à travers leurs réactions. Virtuose, il est capable d’accomplir leurs moindres désirs, se livre en pâture comme une bête de foire pour donner, enfin, ce qu’ils sont venus voir. Donnant l’illusion d’être à la merci du public, il l’entraîne de fait dans un petit jeu pervers, dont il tire les ficelles avec habileté pour toujours surprendre et faire rire. Mais au final, c’est lui qu’il maltraite le plus, mettant en jeu sa propre existence en jouant les Cassandre, lorsqu’une simple banane finit d’achever son destin funeste de clown incompris.

Nathalie Yokel

 

A propos de l'événement

Le Syndrome de Cassandre
du lundi 28 mars 2016 au dimanche 10 avril 2016
Théâtre du Rond-Point
2 Avenue Franklin Delano Roosevelt, 75008 Paris, France

du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h30, relâche les lundis. Tél. : 01 44 95 98 00.

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