Zoo, d’après Vercors, mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota
Théâtre de la Ville / d’après Zoo, ou L’Assassin philanthrope et Les Animaux dénaturés, de Vercors / mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota
Publié le 30 mars 2022 - N° 297Emmanuel Demarcy-Mota installe l’anthropologie dans le cadre sophistiqué d’une mise en scène raffinée : l’effroi côtoie le rêve, les concepts s’incarnent et le théâtre offre à la beauté de servir la pensée.
Ceux qu’intéressent taxinomie et hiérarchie des espèces se placent souvent au sommet d’une échelle, du haut de laquelle ils entendent régenter le monde et asservir ceux au-dessus desquels ils se placent. Dans la pièce de Vercors, Vancruysen, l’homme d’affaires prêt à exploiter les anthropoïdes découverts en Nouvelle-Guinée par une équipe d’ethnologues qui se demandent où les placer dans l’arbre généalogique des singes, est le seul à en être certain : ils sont des bêtes, donc taillables et corvéables à merci. Les scientifiques sont moins sûrs d’eux… Pour décider si les Tropis (surnom des Paranthropus erectus inventés par Vercors) sont humains, l’équipe de chercheurs a l’idée de féconder une femelle tropis avec du sperme humain, afin d’utiliser l’interfécondité comme critère d’appartenance. Naît un bébé que son père biologique, Douglas Templemore, tue à sa naissance. S’ouvre alors un procès, dont le verdict sera scientifique autant que juridique : si c’est un homme, c’est un meurtre, si c’est un animal, Templemore n’est pas coupable.
Si c’est un homme
Pourquoi inventer une telle horreur et comment supporter l’oxymore d’un « assassin philanthrope » ? « Hier ist kein warum », comme le rapporte Primo Levi, dont on ne peut pas oublier le témoignage, pas plus qu’on ne peut effacer l’extermination des « Stücke » au nom du refus de les considérer comme humains. Vercors a publié Les Animaux dénaturés dix ans après Le Silence de la mer : la question de l’humanité de l’homme est intrinsèquement liée à celle de son inhumanité. Peut-être est-ce finalement là le critère d’appartenance à cette espèce maudite, car il ne vient pas à l’esprit des Tropis de vérifier que les anthropologues qui les étudient sont leurs semblables. Les très belles têtes d’animaux, créées par Anne Leray et qu’arborent les comédiens, le suggèrent adroitement : « le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête » écrivait Pascal. La mise en scène, remarquablement servie par le travail vidéo de Renaud Rubiano, la scénographie onirique d’Emmanuel Demarcy-Mota et Yves Collet et les fascinantes lumières d’Yves Collet et Christophe Lemaire, l’explicite d’emblée : sapiens n’est pas le seul homo, mais l’évolution le lui a fait oublier. La troupe du Théâtre de la Ville interprète ce conte philosophique sans sombrer dans la leçon de choses ni dans la leçon de morale : au public de juger si c’est un homme et de se déterminer politiquement. C’est peu dire que l’époque réactualise la question et que ce spectacle est à voir et à méditer.
Catherine Robert
A propos de l'événement
Zoodu mardi 15 mars 2022 au vendredi 15 avril 2022
Espace Cardin - Théâtre de la Ville
1, avenue Gabriel, 75008 Paris
Du lundi au samedi à 20h ; le dimanche à 15h. Relâche les 22, 29 mars et les 4, 10, 13, 14 et 15 avril. Tél. : 01 42 74 22 77. Durée : 1h30.