Festival Perspectives
Danse, musique, cirque, théâtre : la [...]
Seul sur scène aux prises avec le chef-d’œuvre Voyage au bout de la nuit, Rodolphe Dana donne à la fois dans la ruse et la candeur.
Une œuvre de jeunesse. C’est peut-être cela que Rodolphe Dana veut faire entendre à travers la version qu’il propose du roman le plus célèbre de Céline, officiellement constitué en œuvre majeure de la littérature du 20ème siècle. Il est vrai que le contraste entre la teneur anarcho-humaniste de Voyage au bout de la nuit, écrit en 1929, et les dérives à venir de son auteur ne cesse d’interroger, encore aujourd’hui. Pour autant, difficile de remettre en cause l’exceptionnelle qualité de cette prose hallucinée, épique et farcesque, dont l’oralité, le mélange d’argot et de poésie, ne s’essoufflent jamais tout au long du voyage picaresque de Bardamu à travers les cahots d’un siècle nouveau. Avec humilité et simplicité, Rodolphe Dana propose une traversée du roman qui, plutôt que de guider le spectateur dans l’œuvre, laisse ouvert le texte à la pluralité de ses sens.
Une bonhomie quasi-enfantine
Sur une scène dépouillée, jonchée de quelques grandes tables type réfectoire, qui se transformeront successivement en pâtés de maisons, tranchées ensanglantées, pirogues assaillies d’insectes ou immenses gratte-ciels, Rodolphe Dana en moustache et cheveux gominés parcourt donc l’épopée bardamesque. Débuts dans un café Place de Clichy, direction les horreurs de la Grande Guerre, puis l’Afrique coloniale, New-York et retour en banlieue parisienne pour, tout comme l’auteur, finir par exercer la profession de médecin. La trame est connue et l’intérêt du spectateur, outre celui de raviver le souvenir d’une prose puissante et sans égale, se porte sur la manière dont Dana décide de s’emparer de ce roman-fleuve, quelles coupes il aura choisi d’y opérer, quelle lecture il voudra en faire. Sur ces questions, le retour final à Paris est le plus tronqué. Et Bardamu interprété dans une bonhomie quasi-enfantine fait parfois verser le roman dans le genre du conte philosophique. Le personnage en perpétuelle fuite quête on ne sait quoi au bout de la nuit jusqu’à ce que sa course cesse, sa jeunesse passée, qu’il n’ait plus d’entrain qu’à vieillir. Au-delà du sens ouvert, Dana semble donc pencher vers le récit des illusions perdues. Mais peu importe, peut-être, finalement que sa lecture. Car si le survol du récit entraîne une certaine frustration, le spectacle ne tourne jamais au best of et donne avant tout à se confronter à une œuvre aussi puissante que questionnante, à faire théâtre très simplement, très humblement, et talentueusement, au service d’un matériau romanesque inépuisable.
Eric Demey
Les 15 et 16 mai à 20h30. Tél : 01 48 72 94 94. Durée : 1h40. Également au TnBA à Bordeaux, du 5 au 7 mai.
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