Une maison de poupée
Le Monfort Théâtre / d’après Henrik Ibsen / adaptation et mes Lorraine de Sagazan
Publié le 26 septembre 2018 - N° 269Lorraine de Sagazan adapte la pièce d’Ibsen et la transforme en un thriller psychologique décapant dont elle confie l’interprétation à cinq comédiens fougueux, inspirés et d’une sidérante justesse.
Torvald le remarque naïvement à la fin de la pièce, alors que mature déjà, dans la tête de Nora, la décision de quitter son foyer gangréné par la compromission : l’honneur pourrait être sauf si la forfaiture restait secrète. Mais rien ne peut plus être dissimulé puisque le drame s’est joué au vu et au su du public, disposé sur trois des côtés de la scène, témoin d’autant plus attentif que les comédiens ont habilement requis sa complicité quand s’affichaient la réussite et le bonheur exemplaires de ce couple harmonieux. Nora le devine et cela la condamne : l’opprobre du soupçon est pire que l’éclat du scandale. En choisissant d’installer les spectateurs sur scène, au plus près des comédiens qui réussissent brillamment à jouer dans une telle proximité, Lorraine de Sagazan réussit une très belle mise en scène aux allures d’entomologie des passions intimes. Riche idée aussi que celle qui consiste à renverser les rôles écrits par Ibsen. Dans cette nouvelle version, Nora est juriste dans une grande banque d’affaires et Torvald a accepté de demeurer au foyer pour permettre à sa femme de s’épanouir professionnellement.
Toutes des Nora…
Las ! Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne, et le couple sombre quand la vérité se révèle : première leçon, la même que chez Ibsen. Seconde leçon, infiniment plus cruelle : la phallocratie demeure même quand les rôles sont inversés. Nora ne peut pas plus s’en sortir en executive women pailletée qu’elle ne le pouvait en épouse exemplaire déguisée en pêcheuse napolitaine pour plaire à son mari ! Toutes les femmes sont des Nora, pourrait-on résumer… Quels que soient leur costume et leurs choix existentiels, elles sont prisonnières du désir masculin. Le Torvald moderne (magistral Romain Cottard) est un pervers du même acabit que celui du drame originel. Seule une hystérique peut espérer régner sur ce maître-là ! « Masochisme primordial » ou « manque-à-jouir » : les analystes de l’âme humaine peuvent s’en donner à cœur joie ! Toujours est-il que la question du traitement social du problème se pose encore. A moins que les femmes ne renoncent à mettre bas pour faire une œuvre, on les considèrera toujours comme des objets, précieux ou jetables : qu’importe ! Le renversement dramaturgique qu’opère Lorraine de Sagazan le suggère avec une grande intelligence. Il complexifie la pièce davantage qu’il ne l’actualise, faisant de ce spectacle – qui est par ailleurs une grande réussite théâtrale – une occasion de réflexion acérée et de passionnants débats.
Catherine Robert
A propos de l'événement
Une maison de poupéedu mardi 18 septembre 2018 au samedi 6 octobre 2018
Le Monfort
106, rue Brancion, 75015 Paris.
Du mardi au samedi à 20h30. Tél. : 01 56 08 33 88. Durée : 1h40. Puis, du 9 au 13 octobre au CDN de Normandie, Rouen ; les 8 et 9 novembre au Théâtre de Cornouaille, Scène nationale de Quimper ; le 15 novembre au Rayon Vert, scène conventionnée de Saint-Valéry-en-Caux et le 17 novembre à la Ferme du Buisson, scène nationale de Marne-la-Vallée, Noisiel.