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Irène Bonnaud met en scène Eschyle, et fait [...]
Avec « Torquato Tasso », Guillaume Delaveau, le metteur en scène et directeur de la Compagnie X Ici, continue d’explorer après « Prométhée selon Eschyle » et « Vie de Joseph Roulin », les relations tumultueuses, voire toxiques, que l’artiste entretient avec le pouvoir.
« Et c’est moi qui devrait ressentir la faveur que le prince me prodigue (…) Il ne peut pas voir le faux-semblant, je ne peux pas prouver qu’on l’illusionne ; je dois me taire, et même me retirer, pour qu’il se berce de cette illusion, pour faciliter l’œuvre des illusionnistes ». Reclus dans sa chambre princière, thébaïde brutalement métamorphosée en prison lors de cette cruciale scène 3 de l’acte IV, Torquato Tasso, poète décillé, monologue. « Âme aux songes obscurs, que le réel étouffe entre ses quatre murs », ainsi décrit par Baudelaire, le héros éponyme, tragique autant que romantique, de cette difficile pièce classique en cinq actes, est le double dramatique de son auteur : Johann Wolfgang von Goethe. Le grand poète allemand du Sturm und Drang, trouve, à l’instar de nombre d’artistes et de penseurs européens de son temps affiliés aux idéaux du mouvement romantique, en la personne du génial autant qu’incompris poète italien de la renaissance finissante, plus qu’une source d’inspiration, une figure d’incarnation. « Il est vertigineux de voir à quel point la vie de Goethe et celle du poète italien s’imbriquent et comment les enjeux intimes se glissent dans les plus politiques » note Guillaume Delaveau.
Un double vertige
Une esthétique scénographique puissante, osée, révèle l’intention du metteur en scène ; la beauté du décor allégorique intrigue avec un bonheur rare le pur géométrique du classicisme et les aspirations bucoliques du romantisme. Les couleurs, attendrissant l’austère pureté des lignes, se jouent des contrastes. Les quatre murs, enfermant le plateau dans un rectangle quasi parfait, alternent savamment un profond lie de vin avec un vieux rose vif. Des nuages de pelouse vert tendre tachent le plancher. Au premier plan, un panneau que l’on devine amovible, suit les évolutions de l’intrigue, tantôt occultant tantôt démontrant. Modifiant les volumes, il ferme, ouvre ou entrouvre l’espace a-temporel où, au premier plan, à la manière antique, posées sur deux colonnes, les têtes du renommé Virgile et du populaire L’Arioste se font symboliquement face. Cette transfiguration du réel recherchée dans les moindres détails plonge dans un ravissement propice à l’accueil de cette langue sublime rendue à son lyrisme par la traduction versifiée, « d’un autre temps », de Bruno Bayen. Les acteurs relèvent crânement le défi de l’interprétation. A cet égard, si l’on devait en retenir un, ce serait Maxime Dambrin, superbe dans le rôle du prince.
Marie-Emmanuelle Galfré
Irène Bonnaud met en scène Eschyle, et fait [...]