Tommy Milliot met en scène « Qui a besoin du ciel » de Naomi Wallace, une poignante tragédie contemporaine
Le Centquatre
Publié le 20 janvier 2024 - N° 318Dans la veine ouverte avec La Brèche, créée pour le 73ème Festival d’Avignon, Tommy Milliot, metteur en scène, artiste associé à la Comédie de Béthune, désormais Directeur du Centre Dramatique National de Besançon, reconduit, pour le meilleur, sa collaboration avec l’autrice contemporaine Naomi Wallace. Critique sociale acérée, transcendée par l’espoir, cette poignante tragédie contemporaine est soulevée par un humour dévastateur.
Porteur des grandes qualités littéraires et scéniques décelées dans le premier opus, ce second volet touche au vif les paradoxes de l’espoir dans une société marquée par le déterminisme social et les réalités économiques. Comme dans La Brèche, le Kentucky, d’où l’autrice est originaire, sert de cadre emblématique aux maux de ceux qui habitent un territoire touché par la désindustrialisation et le déclassement à l’heure d’un néo-libéralisme triomphant. D’une pièce à l’autre – l’ambition de l’autrice est d’écrire une trilogie – on passe des jeux pervers d’adolescents poussés à l’ultime transgression par un contexte socio-économique délétère, à la lutte picrocholine engagée par des femmes et des hommes qui, avec cette audace propre aux désespérés, refusent de s’avouer vaincus, désirent, envers et contre tout, retrouver leur place dans une société qui les a marginalisés. Sur le fond de la fermeture de l’usine d’aluminium locale, l’intrigue se déploie autour de Wilda, cinquantenaire endeuillée, chômeuse, shootée aux médicaments, qui ne peut se résoudre à rendre les armes sans combattre. Elle sait quelque chose, un secret, qui, croit-elle, pourrait changer la donne. Et son entourage va l’aider.
Des comédiens épatants
Les scènes vertigineuses, d’une poésie si crue qu’elles prêtent paradoxalement à rire dans ces moments de réalisme sans fard où tout pourrait basculer dans le sordide et le misérabilisme, sont jouées sur le fil du rasoir. La farce n’est jamais loin mais elle doit être contenue à tout prix. Au même titre que le drame. Les neufs comédiens sur scène sont épatants. Tous témoignent, avec autant de superbe que d’humilité, du premier souci du metteur en scène : faire entendre le texte dans sa littéralité avec ses terribles et magnifiques ambiguïtés tragi-comiques qui en font le sel. Il faut signaler l’excellence des prestations de Catherine Vinatier, dans le rôle de Wilda et de Marie-Sohna Condé dans celui d’Annette, son amie. Suivant cette veine dramaturgique qui signe les spectacles de sa compagnie Man Haast, Tommy Milliot économise les moyens scénographiques pour faire éclater les limites spatiales d’un plateau livré aux projections interprétatives des spectateurs. Les vertus de ce dépouillement scénique sont éclairées par Nicolas Marie dont les jeux de lumière démultiplient les possibilités de l’espace dénudé, en permettant toutes les évocations nécessaires à l’évolution de l’intrigue. La dynamique dramaturgique à l’œuvre est mise au service de ce qui devrait toujours, et déjà, en tant qu’homme, nous mouvoir par-delà tous les déterminismes : l’empathie.
Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens
A propos de l'événement
du jeudi 25 janvier 2024 au samedi 10 février 2024Le Centquatre
5, rue Curial, 75 019 Paris.
Dans le cadre du Festival Les Singulier-es, du jeudi 25 janvier au samedi 10 février. Le jeudi 25, le vendredi 26, le samedi 27 janvier à 20h, le dimanche 28 janvier à 17h, et du mercredi 31 janvier au samedi 10 février à 19h30. Tél : 01 53 35 50 00. Durée : 1h45. Spectacle vu à la Comédie de Béthune le 13 janvier 2024.