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Avignon - Critique

Tiago Rodrigues crée « Hécube, pas Hécube », éternel combat d’une mère pour son enfant

Tiago Rodrigues crée « Hécube, pas Hécube », éternel combat d’une mère pour son enfant - Critique sortie Avignon / 2024 Boulbon Carrière de Boulbon
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon Texte et mise en scene Tiago Rodrigues Traduction Thomas Resendes Scenographie Fernando Ribeiro Costumes Jose Tenente Lumiere Rui Monteiro Musique et son Pedro Costa Collaboration artistique Sophie Bricaire Avec les interpretes de la Comedie Francaise : Eric Genovese, Denis Podalydes, Elsa Lepoivre, Loic Corbery, Gael Kamilindi, Elissa Alloula, Sephora Pondi

Carrière de Boulbon / texte et mise en scène Tiago Rodrigues

Publié le 3 juillet 2024 - N° 323

Portée par les interprètes de de la Comédie-Française, la création de Tiago Rodrigues dans l’écrin sublime de la Carrière Boulbon met en jeu les combats d’une mère. Celui d’Hécube pour son fils assassiné, celui de Nadia Roger pour son enfant maltraité. Un entrelacement entre mythique et contemporain qui questionne la nécessité de la justice.     

Au Festival d’Avignon nous avons eu la chance d’admirer Antoine et Cléopâtre (2015), Sopro (2017) ou Dans la mesure de l’impossible (2023), œuvres saisissantes de Tiago Rodrigues qui mettent en lien diverses strates narratives, diverses temporalités, divers éclats de réalité. Hécube, pas Hécube, première proposition de l’auteur et metteur en scène en tant que directeur du Festival d’Avignon, a été créée le soir du premier tour des élections législatives, dans un contexte politique alarmant contre lequel s’élève Tiago Rodrigues, dont l’écriture défend avec talent l’expérience collective de l’art vivant et la curiosité de l’autre. Sa nouvelle pièce entrelace la tragédie d’Euripide, écrite il y a 2500 ans, et une histoire au présent. Devenue esclave des Grecs après la défaite de Troie, Hécube, veuve de Priam, pleure ses enfants assassinés. Son plus jeune fils, Polydore, a été tué par le roi de Thrace, un allié proche, qui la trahit par cupidité. Elle réclame justice, elle réclame vengeance, et le mythe raconte qu’elle fut métamorphosée en chienne aux yeux enflammés. La fiction largement nourrie de réel percutée par cette tragédie a été inspirée à Tiago Rodrigues par un scandale de maltraitance d’enfants autistes dans un foyer d’accueil public en Suisse. Au début de la représentation, une troupe autour d’une table commence à répéter la tragédie d’Hécube. Mère d’un enfant de cette maison d’accueil, la comédienne Nadia Roger, qui interprète la reine de Troie, est confrontée à une enquête judiciaire après avoir porté plainte pour la maltraitance de son fils Otis – comme le génial Otis Redding, dont on entend la musique. Elsa Lepoivre l’incarne de manière intense et poignante. La pièce met en miroir la tragédie antique et le drame contemporain, où se révèlent la douleur des mères en quête de justice, la vulnérabilité de ceux qui sans aide sont condamnés à la souffrance ou à la mort, les trahisons et loyautés des uns et des autres, le rôle des gouvernants et des pouvoirs publics…

Un labyrinthe de douleurs

Telle est la condition humaine : en un instant, passer du plein au néant, du juste à l’injuste, d’Hécube, mère comblée, à Hécube, amputée de ses enfants. « Larmes de douleur, de culpabilité, d’amour », les larmes de la comédienne sont vraies. « Pas une larme fantôme, elles sont toutes vraies ». Les comédiens sont d’une grande justesse, d’une grande souplesse, jouant de similitudes ou de contrastes entre leurs divers personnages. Le grand Denis Podalydès donne vie à Agamemnon et au Procureur. Loïc Corbery incarne à merveille le roi de Thrace Polymestor et le secrétaire d’État, tous deux d’une perversité sinueuse. Séphora Pondi, Élissa Alloula et Gaël Kamilindi complètent la distribution. Au centre, est dévoilée la statue imposante d’une chienne à la patte arrachée, signe massif de douleur et rage infinies. « Euripide méritait mieux », remarque le comédien passéiste qu’incarne Denis Podalydès. Au fil de l’avancée de la création qui appelle à la vigilance du regard, la pensée se refuse à toute simplification, même si la parole, les glissements et résonances circulent ici de manière moins poétique, moins inattendue que dans d’autres œuvres de Tiago Rodrigues. Le spectacle demeure d’une belle facture, avec une scène finale qui saisit.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Hécube, pas Hécube
du dimanche 30 juin 2024 au mardi 16 juillet 2024
Carrière de Boulbon
Carrière de Boulbon, 13150 Boulbon

à 22h, relâche les mercredis 3 et 10. Tél : 04 90 14 14 14. Durée : 2h.

Dates de tournée

Du 15 au 23 novembre 2024, ThéâtredelaCité Centre dramatique national, Toulouse Occitanie

Du 28 novembre au 1 er décembre 2024, Comédie de Genève (Suisse)

Les 6 et 7 décembre 2024, anthéa Antipolis théâtre d’Antibes

Du 23 au 25 janvier 2025, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg

Les 29 et 30 janvier 2025, La Coursive Scène nationale de La Rochelle

Du 28 mai au 25 juillet 2025, Salle Richelieu, Comédie-Française (Paris)

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