La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Thyeste

Thyeste - Critique sortie Théâtre Strasbourg Théâtre National de Strasbourg
© Christophe Raynaud de Lage Thyeste, dans la mise en scène de Thomas Jolly.

Région / Théâtre National de Strasbourg / de Sénèque / traduction Florence Dupont / mes Thomas Jolly

Publié le 26 novembre 2018 - N° 271

Spectaculaire, implacable, éclatante : créée en ouverture du dernier Festival d’Avignon, la mise en scène de Thomas Jolly fait résonner avec une force sidérante le texte de Sénèque, admirablement traduit par Florence Dupont.

Si en juillet dernier Thomas Jolly a utilisé à merveille l’espace somptueux de la Cour d’honneur, nul doute que, même privée du ciel et des hauts murs du Palais, sa mise en scène parvienne à nouveau à exprimer toute l’implacabilité de cette si cruelle tragédie. Ainsi que sa beauté, dimension essentielle de ce théâtre total porté et structuré par la phénoménale puissance des mots. A jardin, un crâne monumental gît, les yeux clos et vides, la bouche ouverte. A cour, une main gigantesque se dresse, inextricablement immobile, tendue comme un appel, figée dans une soif vengeresse que rien ne peut contrer. Après Henri VI et Richard III de Shakespeare, Thomas Jolly et les siens explorent la métamorphose inéluctable de l’humain en monstre, à travers un cheminement spectaculaire, signifiant, rythmé par une partition composée par Clément Mirguet et par une myriade d’effets visuels parfaitement maîtrisés. Sans montrer la violence, la représentation tout entière est tenue par la force du récit et des voix. Aucune psychologie dans la trame de l’intrigue, seule compte la faim dévorante de vengeance, qui pervertit et annihile toute relation humaine, et transforme les personnages en automates qui agissent ou réagissent. C’est dans cette mécanisation forcenée, orchestrée de main de maître par Thomas Jolly, que s’exprime la tragédie. Dans la tension entre la froide et linéaire cruauté des actes et l’humanité touchante des affects. Au début du spectacle paraît le damné Tantale, meurtrier de son fils Pelops offert au banquet des dieux. Il s’extrait des eaux noires des Enfers, se lamente, contamine le palais. « Le mal est fait » : c’est ce que décrète la Furie, à travers la voix et la présence si singulières d’Annie Mercier. L’affrontement entre Atrée (Thomas Jolly) et Thyeste (Damien Avice), petits-fils de Tantale, héritiers d’une dynastie maudite, ignore ensuite toutes limites.

Plongée dans les ténèbres

« Il me faut la démesure. » déclare Atrée, paré d’un costume éclatant, qui en s’affirmant l’égal du soleil se soustrait à la communauté des hommes. Trompé par Thyeste qui lui disputait le trône d’Argos et a séduit sa femme pour arriver à ses fins, Atrée a exilé son frère. S’il le fait revenir, ce n’est pas pour sceller le banquet de la réconciliation, mais pour assouvir sa vengeance, en lui servant ses trois enfants à manger, en un effarant rituel sacrificiel. La douleur a cédé la place à la fureur, et à la violence extrême, qui blesse l’ordre du monde, en un attentat contre l’humanité dont l’horreur est soulignée par la poignante gémellité des deux frères. Les chœurs, à l’exception du premier qui est intégré au discours de la Furie lors de la première scène, sont interprétés par Emeline Frémont, qui slame vigoureusement le texte sur des musiques d’aujourd’hui, ou se fait tremblante lorsqu’elle évoque la préparation du banquet. Elle est rejointe par un chœur d’enfants juste avant que le jour ne déserte. Une plongée dans les ténèbres qui interroge directement le public sur le surgissement de la part du monstre en l’homme. Lorsqu’enfin s’épuise le ressassement de la haine, les mots de Sénèque le stoïcien paraissent : « Une seule chose peut nous rendre la paix : c’est un traité d’indulgence mutuelle. » Une question de volonté…

Agnès Santi

A propos de l'événement

Thyeste
du mercredi 5 décembre 2018 au samedi 15 décembre 2018
Théâtre National de Strasbourg
1 avenue de la Marseillaise, 67000 Strasbourg

Du 5 au 14 décembre à 20h, le 15 à 16h, relâche le 9. Tél : 03 88 24 88 24. Les 19 et 20 décembre au Théâtre des Salins à Martigues. En janvier à Charleroi et La Rochelle. En février aux Célestins à Lyon. En mars à Caen, Antibes, Toulon, Marseille. En avril à Châtenay-Malabry et Lille.

Spectacle vu en juillet 2018 lors du Festival d’Avignon. Durée : 2h30.

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