La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Terre sainte

Terre sainte - Critique sortie Théâtre
Photo : Emmanuelle Blanc Imen (Lily Bloom) et Yad (Bernard Allouf), libres de tout Dieu.

Publié le 10 avril 2009

Révélée par Sophie Akrich, Terre sainte de Mohamed Kacimi redonne espoir au retour de l’humain. Dans l’alliage serré entre dramaturgie et poésie, le regard porté sur l’autre est le vrai joyau.

L’action de la pièce se situe dans un pays où la guerre au nom d’un Dieu et d’une religion fait rage. On sait avec Barbusse que la guerre hideuse « non seulement viole le bon sens, avilit les grandes idées, commande tous les crimes » mais développe tous les mauvais instincts, « la méchanceté jusqu’au sadisme, l’égoïsme jusqu’à la férocité, le besoin de jouir jusqu’à la folie ». Nous sommes en Terre sainte, dans les lieux où vécut le Christ, selon les Évangiles. Aussi les croisades en Terre Sainte désignent-elles les expéditions entreprises au Moyen Âge par les chrétiens coalisés pour délivrer les lieux saints qu’occupaient les musulmans. Aujourd’hui, Mohamed Kacimi laisse flotter l’énigme en n’identifiant ni le pays ni la population soumise aux exactions au nom de la sainteté d’une terre, espace sacré où l’on naît pour exister, où l’on reste pour vivre et que l’on quitte pour mourir. La terre désigne le lieu où l’homme passe sa vie matérielle et charnelle opposée au ciel et à la vie éternelle. Or on est vivant et l’enfer est déjà là en plein siège de la ville. Si l’on ne peut identifier les belligérants, c’est que bourreaux et victimes sont les mêmes qui se comportent bestialement au nom de la patrie, de l’honneur et de Dieu.

Le terrain de la délicatesse et de l’écoute conviviale

 «Trop de couilles et pas assez de jugeote, ça me fatigue, l’Orient », dit le sage Yad (Bernard Allouf) qui préfère boire de l’arak en compagnie d’Imen (Lily Bloom), sa jeune voisine attachée à son narguilé. Ce père a tout perdu, sa terre, deux enfants et des amours. Il a appris à chercher le bonheur jusque dans la catastrophe, un bonheur misérable qui tient encore à la Terre. Son épouse Alia (Katia Dimitrova) est de cette étoffe pacifiste, même si elle s’emporte contre ses voisines voilées, « des langues de putes déguisées en corbeaux qui prient jour et nuit et vendent leur père, leur mère, leurs amants et même le bon Dieu pour un Nokia Triband à soixante sonneries ». Le combattant fou (John Kokou) interroge ses proies avant de les abuser, casque sur la tête et mitraillette au bras. Même Amin (Mehdi Dehbi), le fils étudiant brillant, en arrive à tuer et à violer. La mise en scène nuancée de Sophie Akrich pose les armes sur le terrain de la délicatesse et de l’écoute conviviale, en écho à la parole poétique de Kacimi. Sur la scène, les protagonistes ne sont pas donneurs de leçon, ils ont transcendé le conflit, d’où la qualité étrange de leur sérénité au milieu de l’horreur. Dans les sifflements des roquettes, il suffit d’un regard ou d’un geste, l’attention d’une fillette à son chat blessé pour que renaisse l’espoir. Art de la confidence et tendresse de la conversation, la vie réelle se glisse hors des passions mises à distance, dans les sourires échangés au bord des lèvres.

Véronique Hotte


Terre sainte

De Mohamed Kacimi, mise en scène Sophie Akrich, du mardi au samedi 20h, dimanche 16h30, du 10 mars au 12 avril 2009 à La Tempête Cartoucherie 75012 Paris Tél : 01 43 28 36 36 www.la-tempête.fr

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