La Terrasse

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Théâtre - Entretien

Le dérèglement des sens

Le dérèglement des sens - Critique sortie Théâtre Nanterre Théâtre Nanterre-Amandiers
Jean-Louis Martinelli Crédit photo : Hannah Assouline

Phèdre / Théâtre Nanterre-Amandiers
De Racine / Mise en scène Jean-Louis Martinelli

Publié le 25 octobre 2013 - N° 214

Phèdre aime Hippolyte et cet amour coupable l’entraine irrémédiablement vers la mort. Car elle est épouse de Thésée, car il est son beau-fils. La tragédie de Racine se noue en une phrase et pourtant porte à l’incandescence la violence des désirs et le désordre des sens. Jean-Louis Martinelli, qui revient pour la quatrième fois à Racine, dévoile la complexité des êtres aux prises avec leurs douleurs intimes.

« Racine n’oppose pas ici raison et passion mais s’immisce dans le désordre intérieur des êtres. »

 

Dans Le Mythe de Phèdre, le philosophe Maurice Blanchot souligne que « sa mort n’est pas la conséquence de son amour, conséquence secondaire et d’une certaine manière accidentelle ; elle est cet amour même ». Comment abordez-vous ce personnage ?

Jean-Louis Martinelli : « Phèdre est une femme mourante et qui cherche à mourir », dit Théramène dès les premiers vers. Je lis dans cette pièce un essai sur la douleur intime et le dérèglement des sens provoqué par la maladie mentale. Racine livre la chronique d’une mort en direct. Deux dépressions se font écho, celle de Phèdre et celle d’Hippolyte. L’un comme l’autre cherchent leur autonomie mais sont empêchés par la figure tutélaire du père, qu’elle soit de l’ordre du surmoi pour elle ou de la présence réelle pour lui. Ils sont enfermés et séparés d’eux-mêmes. L’obsession de Phèdre pour la pureté et l’expiation de la faute est la manifestation de cette souffrance dont seule la mort peut la délivrer. Racine n’oppose pas ici raison et passion mais s’immisce dans le désordre intérieur des êtres. Nous travaillons au plus fort de l’instabilité et de la cyclothymie du sujet dépressif. La pièce relève d’un cauchemar. Elle commence dans le réel et glisse dans l’espace du fantasme et donc du poème.

 

Comment Racine tisse-t-il ici l’intime et le politique ?

J-L. M. : L’absence de Thésée, donc du pouvoir, ouvre une crise à Trézène. Le désordre politique sème aussi une confusion affective et sexuelle. Ainsi, à partir de l’acte deux, les personnages tentent de parler de politique mais retombent chaque fois dans la sphère amoureuse et intime.

 

Comment apprivoisez-vous la langue de Racine ?

J-L. M. : Les références à la mythologie, bien connues du public de l’époque, ne nous sont plus familières. Il faut presque considérer la langue racinienne comme étrangère pour se l’approprier et faire siens ce mode de pensée et cet art de la rhétorique. Et donc dire et redire l’alexandrin mais surtout comprendre intimement le sens, sinon le risque est grand de se laisser emporter par la mécanique des vers. La pièce est construite selon une structure mathématique, qui fonctionne par renversements successifs. C’est une machine qui se retourne et se dérobe en permanence, comme la capacité de raisonner pour l’esprit défaillant. Cette structure fournit un appui essentiel à l’acteur pour bâtir l’ossature de son jeu, qui, chez Racine encore plus que chez d’autres auteurs, doit être écrit en détail car dès qu’il n’est plus nourri dans ses moindres intentions, le sens échappe et le poème devient inaccessible : la déflagration poétique ne nous parvient alors pas.

 

Entretien réalisé par Gwénola David

A propos de l'événement

Phèdre
du vendredi 8 novembre 2013 au vendredi 20 décembre 2013
Théâtre Nanterre-Amandiers
7 avenue Pablo Picasso 92022 Nanterre

Du 8 novembre au 20 décembre 2013, à 20h30, sauf dimanche à 15h30, relâche lundi. Tél. : 01 46 14 70 00.
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