La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Georges Lavaudant

Georges Lavaudant - Critique sortie Théâtre
Crédit Photo : Laure Vasconi - Odéon-Théâtre de l'Europe

Publié le 10 mars 2009

Tennessee Williams, un nouveau défi pour le metteur en scène

Georges Lavaudant part à la découverte de l’écriture de Tennessee Williams. Il met en scène La Nuit de l’iguane, une pièce traversée par les instabilités et les contradictions d’une âme humaine.

Georges Lavaudant part à la découverte de l’écriture de Tennessee Williams. Il met en scène La Nuit de l’iguane, une pièce traversée par les instabilités et les contradictions d’une âme humaine. 
 
Existe-t-il une ligne directrice qui guide, depuis le début de votre carrière, votre cheminement de metteur en scène ?
Georges Lavaudant : Les années passant, on en vient fatalement à se retourner sur son propre parcours. Peut-on d’ailleurs vraiment être lucide par rapport à cela ? Je ne sais pas. Mais j’ai envie de dire que je me sens comme quelqu’un qui traverse une rivière en sautant de pierre en pierre. Cela, sans vraiment suivre de ligne, mais plutôt en essayant de me surprendre, de me placer dans des situations périlleuses, de déjouer le cadre d’une esthétique dans laquelle je pourrais m’enfermer. J’ai ainsi toujours eu l’idée qu’il était possible de se situer au cœur de l’institution théâtrale et, disons-le, du pouvoir, tout en continuant d’aller du côté de la marge, qu’il était possible de mettre en scène de grands opéras tout en participant à de petites aventures faites avec trois bouts de ficelle. C’est à travers cette forme de discontinuité, de mouvement chaotique, que je chemine.
                                                                                                                         
Le fait de vous intéresser, aujourd’hui, à l’œuvre de Tennessee Williams, illustre donc ce goût pour la discontinuité…
G. L. : Certainement. Car cette œuvre correspond à un théâtre que je ne maîtrise pas, qui m’est très éloigné – pour aller vite : un théâtre psychologique, un peu explicatif, qui répond à des tentations scénaristiques, s’appuie sur des repères naturalistes, sur des personnages en crise… Après m’être beaucoup penché, ces dernières années, sur des écritures denses, je n’avais pas envie d’immédiatement retourner à Shakespeare, Tchekhov ou Pirandello.
 
D’autres auteurs auraient pu vous mener hors de ces voies-là. Qu’est-ce qui vous a dirigé précisément vers Tennessee Williams ?
G. L. : Découvrir la pièce que l’on va mettre en scène, c’est comme s’ouvrir à sa propre bibliothèque. Le moment du choix est un moment magnifique, qui va déterminer des mois de compagnonnage. C’est comme visiter un nouveau pays, fréquenter une personne aimée… Je n’ai jamais exploré l’œuvre d’Ibsen ou de Strindberg, deux auteurs auxquels on pense inévitablement lorsqu’on est metteur en scène. J’aurais donc pu partir à la rencontre de l’un ou de l’autre. Mais, je crois vraiment que le choix de Tennessee Williams a été un défi que je me suis lancé à moi-même.
 
« J’ai voulu créer une représentation épurée, désencombrée de tout fatras névrotique. »
 
A présent que vous vous êtes familiarisé avec cette écriture, qu’est-ce qui vous touche le plus en elle ?
G. L. : Sans doute la présence de l’auteur derrière l’œuvre, un auteur qui se bat contre l’Amérique puritaine des années 1960, qui revient sans arrêt à la charge pour essayer de dénoncer les comportements de ses compatriotes. D’ailleurs, ce combat est perdu d’avance. Et c’est peut-être ça qui est le plus touchant : voir ainsi quelqu’un se battre dans la nuit, donner des coups de canif dans le vide, s’attaquer à des ombres.
 
Pour en venir à La Nuit de l’iguane, quel vous semble être le cœur dramaturgique de cette pièce ?     
G. L. : La Nuit de l’iguane présente un empilement d’entre-deux qui mènent à des culs-de-sac : on est entre la mer et la jungle, le corps et l’esprit, la guerre et la paix, car contrairement au film de John Huston, la pièce se situe en 1940, en pleine Bataille d’Angleterre, au moment où l’équilibre mondial est plus que jamais incertain. Tennessee Williams présente un homme en souffrance (ndlr : Tcheky Karyo)qui ne parvient pas à concilier ses pulsions sexuelles et sa morale religieuse. Il est harcelé par quatre femmes (ndlr : Dominique Reymond, Astrid Bas, Anne Benoît, Sara Forestier), l’une voulant le sauver, une autre l’épouser, une autre l’agresser, une autre coucher avec lui.
 
De quelle façon avez-vous envisagé la dimension psychologique de ce texte ?
G. L. : J’ai essayé de prendre la langue très au sérieux. Le film est formidable, mais ma démarche a vraiment été différente. J’ai voulu créer une représentation épurée, désencombrée de tout fatras névrotique. Le cinéma est obligé de simplifier, de déployer toute une dimension de crédibilité dont je n’ai pas eu à me préoccuper au théâtre. J’ai ainsi pu être beaucoup plus libre, beaucoup plus fantasmatique. Jetés sur le plateau avec très peu d’appuis réalistes, les personnages n’ont plus que la parole pour se défendre, pour exister. C’est de cette façon que la pensée avance. Car chacun ne prend conscience de ce qu’il dit qu’au moment même où il le dit. Sans la parole, il n’y a donc plus de pensée.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


La Nuit de l’iguane, de Tennessee Williams ; texte français de Daniel Loayza ; mise en scène de Georges Lavaudant. Du 9 mars au 5 avril 2009. Du lundi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h30. Relâche les mercredis et jeudis. MC93 Bobigny, 1, boulevard Lénine, 93000 Bobigny. Renseignements et réservations au 01 41 60 72 72 ou sur www.mc93.com

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