Les frontières du corps
La dernière création de Sylvain Prunenec remet en jeu les frontières du corps : les danseurs migrent dans le corps des autres, et réciproquement accueillent l’autre en eux-mêmes.
Dans About you, les quatre danseurs tentent l’expérience de « partager leurs corps ». Que peut-on entendre par là ?
Un danseur court et c’est l’autre qui s’essouffle. Une danseuse amorce un déséquilibre, qui se répercute sur une autre, et c’est un troisième qui tombe. Ils échangent leurs battements de cœur… C’est une sorte de « chahut des corps », comme si les danseurs étaient un seul grand corps, ou comme si chaque corps était habité de multiples présences. Ce travail sur l’empathie – qui nous permet de partager des mouvements, des intentions, des sensations – est une occasion d’explorer les liens entre les danseurs.
« Ce travail sur l’empathie – qui nous permet de partager des mouvements, des intentions, des sensations – est une occasion d’explorer les liens entre les danseurs. »
Définiriez-vous cette recherche comme une exploration « technique » des composantes du mouvement ?
Ma dernière pièce, Lunatique, analysait la décomposition du mouvement, en s’inspirant des travaux sur la chronophotographie menés par Etienne-Jules Marey au XIXe siècle. About you en est un prolongement, moins basé sur le fonctionnement du corps et la forme du mouvement que sur la « contamination » improvisée : que se passe-t-il lorsque l’on se projette dans un mouvement, mais que l’on n’en exécute que le début, ou que la fin ? J’ai aussi été très intéressé par mon expérience d’interprète dans O, O de Deborah Hay : notre corps, notre identité n’étaient jamais stables, toujours éclatés et tentant de se recomposer. Pour About you, je pars de cet éclatement pour voir quelles matières physiques émergent. Je suis surtout intéressé par les fictions qui naissent du « passage de relais » d’un corps à l’autre.
En quel sens parlez-vous de « fictions » ?
Au moment où je me projette en l’autre, dans l’entre-deux, je peux me permettre des choses improbables. Cette expérience amène les danseurs à créer des doubles d’eux-mêmes, qui investissent le plateau, entrent en relation avec les personnes réelles et les autres personnages fictifs. Il y a par exemple un moment où Hanna Hedman « suit » un danseur fictif en l’imitant. Bien sûr, c’est Hanna qui invente la danse du personnage fictif. Et pourtant, ce n’est pas vraiment « sa » danse ; le mouvement est habité par une autre présence, imaginaire.
Propos recueillis par Marie Chavanieux
About you, chorégraphie de Sylvain Prunenec, du 23 au 26 janvier 2008 à 20H30 au Centre Pompidou, place Pompidou, 75004 Paris. Rés. 0 892 683 622 et
www.centrepompidou.fr/billetterie