Sylvain Maurice met en scène « Petit Eyolf » d’Ibsen : de la tragédie à la possibilité de l’espoir
Théâtre des Quartiers d’Ivry
Publié le 28 février 2024 - N° 319Après le succès de La Campagne de Martin Crimp, Sylvain Maurice met en scène une pièce d’Ibsen qui elle aussi déchire le présent à partir de l’irruption de la tragédie. Éclairant les non-dits et transformant les personnages, une reconstruction se noue…
De quelle manière l’écriture d’Ibsen résonne-t-elle aujourd’hui dans votre mise en scène ?
Sylvain Maurice : Ibsen est un auteur très moderne. Dans Petit Eyolf il est frappant de constater que les références au XIXe siècle, qu’elles soit religieuses, historiques ou socio-économiques, sont quasi absentes. Les aspirations des personnages sont atemporelles. Une famille y est confrontée au drame absolu de la mort d’un enfant, puis, petit à petit, parvient à ne pas sombrer, à surmonter la tragédie. Reliée aux questions de la parentalité, de la responsabilité, de la culpabilité, cette reconstruction autour du deuil s’avère d’une grande modernité. En ce sens, Petit Eyolf s’inscrit dans la continuité de La Campagne de Crimp, que j’ai mis en scène la saison dernière, où des couples se déchirent et se reconstruisent. Là aussi, le poids du passé leste le présent, le drame initial révèle les dysfonctionnements du couple et les illusions dont chacun se berçait, met au jour des mensonges enfouis qui fissurent l’édifice du roman familial et questionnent les êtres au plus profond d’eux-mêmes. La pièce ouvre en permanence des portes sur des non-dits, sur l’inconscient.
« Les personnages éminemment modernes composent avec leurs pulsions, encaissent la vérité et opèrent une transformation d’eux-mêmes. »
Comment la pièce est-elle structurée ?
S.M.: La pièce commence par un premier acte riche en péripéties avec le retour d’Alfred, le père d’Eyolf, un intellectuel assez narcissique qui décide de consacrer davantage d’attention à son fils, avec aussi l’irruption fantastique du personnage de la Dame aux rats, qui évoque le joueur de flûte. Jusqu’à ce qu’à la fin de cet acte advienne l’accident, la noyade du petit Eyolf qui disparaît dans un fjord. Le couple formé par Rita et Alfred fait face au vide laissé par la mort de l’enfant et se déchire. Rita s’est toujours sentie flouée parce qu’Alfred la renvoie à son statut de mère au détriment de son statut de femme. Alfred est coincé entre Rita et Asta, sa demi-sœur qu’il aime et à propos de laquelle des secrets de famille sont révélés. Lors des deux actes qui suivent, l’action s’interrompt au profit de la quête du sens, d’une sorte d’autopsie du drame. Les accusations et déchirements font finalement place à une forme de résilience, où l’horizon s’ouvre vers une possibilité d’espoir. Les personnages éminemment modernes composent avec leurs pulsions, encaissent la vérité et opèrent une transformation d’eux-mêmes. Leur reconstruction s’accompagne d’une prise de conscience d’ordre politique, puisqu’à la fin ils ouvrent leur maison aux enfants dans le dénuement.
Quel écrin avez-vous élaboré pour la mise en scène ?
S.M.: Un écrin épuré, graphique, sculpté par un important travail autour de la lumière. La mer et sa puissance imaginaire m’ont beaucoup inspiré. Lorsque le père arpente le rivage et se demande où est son fils, il est à la recherche d’une communion avec le disparu. On peut imaginer que l’esprit d’Eyolf demeure, que la mer constitue une sorte de seuil permettant un dialogue entre les vivants et les morts. La fin ouverte, très puissante, laisse éclore une forme d’espoir, et c’est très beau…
Propos recueillis par Agnès Santi
A propos de l'événement
Petit Eyolfdu vendredi 8 mars 2024 au samedi 16 mars 2024
_Théâtre des Quartiers d’Ivry
La Manufacture des Œillets, 1 rue Raspail, 94200 Ivry-sur-Seine
du mardi au vendredi à 20h, samedi à 18h dimanche à 16h, relâche le lundi. Tél : 01 43 90 49 49. Durée : 1h35.
Également à L’Archipel, Scène de territoire de Fouesnant, le 21 mars, Au Quai – CDN d’Angers, du 9 au 11 avril.