La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Sophonisbe

Sophonisbe - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre des Abbesses
Sophonisbe, héroïne cornélienne magnifiée. © cosimo mirco magliocca

Théâtre de la Ville/ de Corneille/ mes Brigitte Jaques-Wajeman

Publié le 26 octobre 2013 - N° 214

Brigitte Jaques-Wajeman poursuit son exploration du théâtre de Corneille, et plus particulièrement des pièces qu’elle nomme « coloniales », à travers Sophonisbe, tragédie où la puissance du désir se mesure au pouvoir des armes.

Vous ne trouverez pas en l’auteur de ces lignes un fervent adepte du théâtre classique qui corseta bien trop longtemps à son goût la scène française. Aussi baroque fût-il dans ce contexte, Corneille n’en développa pas moins un théâtre prenant pour sujet les conflits antiques de l’empire romain, les éternels combats entre le cœur et la raison d’Etat,  qu’il développa  dans un style et un alexandrin particuliers. Après Nicomède et Suréna en 2011, en alternance avec Pompée, Brigitte Jaques-Wajeman présente Sophonisbe. Dans une scénographie articulée autour d’une grande table en bois – véritable scène sur la scène – autour de laquelle – et sur laquelle – se jouent les conflits politiques et amoureux qui occupent ces pièces, elle reconduit à chaque spectacle la même troupe de comédiens, dont l’interprétation, sans nul doute, en nourrit grandement l’intérêt. Liaisons surprenantes, “e“ sonorisés et diérèses, rien n’est laissé au hasard dans leur diction pour faire entendre l’alexandrin cornélien et sa musique parfois incongrue. Les personnages féminins sont drapés de robes intemporelles, potentiellement antiques et de soirée, – avec épaules dénudées – quand les hommes oscillent entre la toile épaisse de la tenue de combat, l’uniforme militaire et le complet éclatant, digne d’une soirée blanche chez Eddy Barclay.

Ressentir et démêler

La difficulté majeure pour le spectateur, face à Sophonisbe, réside sans nul doute dans la compréhension d’une intrigue dont le contexte historique lui est très largement méconnu. Nous voilà en effet en Numidie (l’Algérie d’aujourd’hui), tandis que la guerre fait rage entre Rome et Carthage. Sophonisbe est aimée de Syphax et de Massinisse, qu’Eryxe convoite également. Pour sa part, Sophonisbe aime Massinisse sans pour autant rejeter Syphax à qui elle a été unie de force. A ces intrigues amoureuses, se superposent des conflits politiques dont il est difficile de prendre la mesure si l’on n’est pas un tant soit peu versé dans l’histoire antique. Dans cette conjugaison de nœuds dramatiques que le spectateur peine à cerner, les dilemmes, les confrontations, les confidences et autres scènes d’affrontement politique perdent force et saveur puisqu’il est difficile en même temps de ressentir et de démêler. L’intrigue progressant, cependant, et le spectateur s’y repérant davantage, le traitement que réalise Brigitte Jaques-Wajeman de cette matière cornélienne, déploie progressivement ses qualités.  Elles tiennent essentiellement ici en un théâtre où le jeu se fait dépouillé et tenu, dans le personnage de Sophonisbe, à la fois joueur et entier,  qui exerce sur ses amants un pouvoir stupéfiant, révélant combien l’héroïsme des puissants, aussi, est sapé par leur humanité.

Eric Demey

A propos de l'événement

Sophonisbe
du jeudi 14 novembre 2013 au dimanche 1 décembre 2013
Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses, 75018 Paris.

Tél : 01 42 74 22 77.
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