Regards
Spectacle autobiographique conçu et [...]
Dans des décors somptueux et avec d’impeccables comédiens, André Engel crée deux pièces d’Ödön von Horváth. Malgré des moments saisissants, l’ensemble ne captive pas.
André Engel est un fin connaisseur d’Ödön von Horváth (1901-1938), et on se souvient de sa brillante et fascinante mise en scène du Jugement dernier voici quelques saisons. Il réunit ici deux de ses pièces écrites à dix ans d’intervalle, Meurtre dans la rue des Maures (1923) et L’Inconnue de la Seine (1933), qui traitent toutes deux de l’assassinat d’un horloger, dans des perspectives très différentes. Crime crapuleux dans les deux cas, avec pour la première un focus sur une famille désunie, et pour la seconde sur des couples qui se font et se défont, sacrifiant une jeune fille amoureuse. Avec aussi un glissement vers un désenchantement plus accablant encore dans la seconde pièce. Les mêmes comédiens interprètent les deux pièces, et l’une éclaire l’autre par diverses résonances. Elles dessinent aussi en partie un portrait social et le tableau d’une époque. Zoom sur un quartier de ville européenne : café, fleuriste, hôtel et l’horlogerie de Simon Kohn. On sait que l’horlogerie est condamnée à la disparition pour d’autres raisons qu’un fait-divers criminel et Horvàth en fin analyste de son monde pressent évidemment que l’avenir européen est plus une menace qu’une promesse. Les personnages naviguent entre illusion de liberté et fatalisme désabusé, et le moindre bonheur toujours jouxte le malheur.
Abîmes de fausseté
L’un des personnages ne dit-il pas avec une certaine grandiloquence : « nous sommes le fumier sur lequel fleurissent nos actes ». Evoquant l’univers expressionniste allemand, les décors remarquables de Nicky Rieti sont manipulés de façon impressionnante, et ces changements sont rythmés par une belle vidéo de rouages horlogers égrenant le temps. La famille, l’amour, la morale : tout cela est contaminé par une implacable déliquescence, par des abîmes de fausseté. André Engel a ce talent pour par exemple laisser éclater en une toute petite phrase clôturant une conviviale tirade toute la haine ordinaire et la bêtise insondable des humains. Pour imaginer aussi une scène finale à l’ironie terrible. Cependant, et malgré une distribution très solide (Yann Collette et sa rare présence, Evelyne Didi, Jérôme Kircher, Julie-Marie Parmentier…), la pièce semble rester comme prisonnière de ces intrigues très simples voire simplistes et de leurs péripéties. Bien que ponctuée de moments fantastiques – les apparitions du fantôme de l’horloger sont frappantes -, l’ensemble ronronne, manque d’énergie et d’aspérité et ne parvient pas à emporter vers des zones de questionnement.
Agnès Santi