Catherine Hiegel monte « La Serva amorosa » avec Isabelle Carré dans le rôle titre
Théâtre de la Porte Saint-Martin / texte de Carlo Goldoni / mise en scène de Catherine Hiegel
Publié le 28 août 2024 - N° 324Trente ans après avoir incarné Coraline, la servante au grand cœur de Goldoni, Catherine Hiegel en confie le rôle à Isabelle Carré. Une pièce pétrie d’humanité où triomphent les femmes et brillent les petites gens.
Qui est Coraline, la servante aimante ?
Catherine Hiegel : J’ai joué ce rôle il y a longtemps, dans la très belle mise en scène de Jacques Lassalle à la Comédie-Française : c’est un rôle complet, ce qui est rare au théâtre, un personnage d’une grande richesse, très beau à interpréter. Il y a tout à jouer dans ce rôle : Coraline finit même en homme, travestie en clerc de notaire. C’est un rôle de lumière et d’obscurité, de franchise et de secret. Coraline est amoureuse de son jeune maître mais s’interdit cet amour, même si elle se compromet socialement en habitant avec lui. Pour lui, elle piège sa méchante marâtre qui essaie de le déshériter et s’offre, à la fin, le luxe de refuser sa main. « Vive notre sexe et que crève sur l’heure qui ose en dire du mal. » : telle est la dernière réplique. La première fois que je l’ai dite, j’étais, à la fin du spectacle, seule face au public, la lumière éclairant les visages du premier rang. Mes yeux sont tombés, parfait hasard, sur le visage de Gisèle Halimi. J’ai eu un trou ; je suis restée en suspens, trop émue par cette coïncidence. Elle m’a téléphoné le lendemain et m’a invité chez elle pour partager un couscous ! Nous sommes devenues amie grâce à cette réplique. C’est la force de cette coïncidence, liée à la justesse du regard de Goldoni, que je voudrais retrouver, surtout en ce moment où, même si le féminisme a fait avancer la cause des femmes, il reste bien du travail à faire !
« C’est un rôle complet, ce qui est rare au théâtre, un personnage d’une grande richesse, très beau à interpréter. »
Quelle est la particularité du regard de Goldoni ?
C.H. : Son regard sur les gens est pétri d’humanité et cette humanité traverse la pièce. Chez lui, c’est le doux observateur que j’aime, celui qui sait faire parler les petites gens : il n’est pas question dans cette pièce de héros, de puissants, de maîtres, mais de commerçants, de valets, du peuple, du monde du travail, sans sarcasme ni caricature. Cette pièce signe le triomphe de la femme sur la perversité du monde, mais ce triomphe est d’une grande élégance. Ce rôle est un cadeau pour une actrice et Isabelle Carré, qui est capable d’être lumineuse et secrète, et qui a en elle autant de douceur que d’ombres, a tout pour en explorer la complexité.
Quel cadre choisissez-vous pour cette exploration ?
C.H. : La grande difficulté chez Goldoni, c’est qu’on change de lieu à chaque tableau. Catherine Rankl, qui peint les toiles de façon éblouissante, a merveilleusement résolu ce problème. Elle s’est inspirée de Pietro Longhi et de Tiepolo et a inventé un système ingénieux pour qu’alternent les tableaux de façon très légère. On a ainsi l’impression d’un glissement irrésistible jusqu’à la fin de la pièce : la manipulation à vue des décors fait écho à la machination de l’intrigue. On passe de manière très fluide de la rue à la maison d’Ottavio, de la boutique de Pantalon à la mansarde où vivent la serva et son jeune maître. À cela, s’ajoute le travail de Renato Bianchi, un des plus grands costumiers européens, que j’ai connu à la Comédie-Française. C’est une chance inouïe de travailler avec cet homme et avec tous les artistes réunis dans ce spectacle.
Propos recueillis par Catherine Robert
A propos de l'événement
La Serva amorosadu mercredi 25 septembre 2024 au mardi 31 décembre 2024
Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin, 75010 Paris
Du mercredi au vendredi à 20h ; samedi à 16h et 20h30 ; dimanche à 16h. Tél. : 01 42 08 00 32.