Avignon / 2022 - Entretien / Sofia Adrian Jupither
Sofia Adrian Jupither met en scène Solitaire, un étrange huis clos de Lars Norén
Chartreuse de Villeneuve lez Avignon
Publié le 26 juin 2022 - N° 301Le Festival d’Avignon accueillait pour la première fois en 2016 la metteure en scène suédoise Sofia Adrian Jupither avec deux spectacles : La Tigresse de Gianina Carbonariu et 20 novembre de Lars Norén. On la retrouve avec la dernière pièce écrite par cet auteur, Solitaire. Un étrange huis clos qui confine à l’absurde.
Solitaire est la septième pièce de Lars Norén que vous mettez en scène, à chaque fois en première mondiale. En quoi son théâtre vous intéresse-t-il particulièrement ?
S.A.J. : En Suède, tous les artistes de théâtre sont élevés avec Lars Norén. Je n’ai pas fait exception, toutefois je n’ai pas été d’emblée intéressée par son écriture. Je trouvais qu’il utilisait beaucoup trop de mots, qu’il disait absolument tout ce qu’il voulait faire comprendre au spectateur. Mais à partir des années 90, au moment où je commence à être metteure en scène, son écriture change : elle devient beaucoup plus économe, plus minimaliste. C’est là que m’apparaît ce qui nous relie : un regard sans concession sur l’humanité, mais pas non plus sans tendresse.
Comment s’exprime ce regard dans Solitaire ?
S.A.J. : Lars Norén y place dix personnes tout à fait normales, différentes mais toutes issues de la classe moyenne ou aisée, dans une situation anormale. Sans savoir pourquoi, ces femmes et ces hommes qui ne se connaissent pas se retrouvent rassemblés dans un espace très étroit dont ils sont incapables de s’échapper. Selon moi, il fait ainsi une forme de démonstration politique. En situant un échantillon de la bourgeoisie européenne hors de son contexte habituel, Lars Norén en montre la nature profonde. Et, comme toujours chez lui, cette nature n’est pas des meilleures.
« Un regard sans concession sur l’humanité, mais pas non plus sans tendresse. »
Comment se comportent ces dix personnages ? Finissent-ils par former un groupe ?
S.A.J. : Comme tous les personnages de Lars Norén, ils se comportent assez mal les uns envers les autres, mais ils ont toujours une raison de le faire. Et ils essaient toujours de faire au mieux. C’est en cela que je parle de tendresse et même d’amour chez Lars Norén. Dans Solitaire, chacun tente de protéger son identité mise en péril par la situation absurde dans laquelle tous se trouvent. Car que devient-on lorsqu’on est coupé de tout ce qui nous définit ? Les protagonistes de la pièce n’ayant plus rien d’autre à quoi se raccrocher, ils sont obligés de compter les uns sur les autres. D’où la comparaison qui a été faite avec En attendant Godot : pour les personnages de Solitaire comme pour ceux de Beckett, une mauvaise relation vaut mieux que pas de relation du tout.
Quel type de jeu avez-vous cherché à développer avec vos comédiens ?
S.A.J. : Cette pièce est un vrai défi pour les acteurs, qui restent tous ensemble au plateau pendant 1 heure 40. D’autant plus qu’elle ne raconte pas d’histoire, qu’elle est très fragmentaire. Le texte ne donnant aucune clé de compréhension, nous avons dû y trouver ensemble un chemin avant de commencer à travailler au plateau. Ensuite, chacun doit trouver une manière d’être vrai à chaque instant, aussi bien sur le plan physique que psychique, les deux étant très liés dans Solitaire. Ce travail a été très particulier, très émouvant pour moi car j’ai dû le mener sans pouvoir dialoguer avec Lars Norén, qui nous a quittés en 2021. Il m’a toujours laissée entièrement libre dans mes mises en scène, mais son absence nous prive d’un grand auteur et, personnellement, d’un ami. Je suis très heureuse de pouvoir partager maintenant sa dernière pièce.
Propos recueillis par Anaïs Heluin
A propos de l'événement
Sofia Adrian Jupither met en scène Solitaire, un étrange huis clos de Lars Noréndu vendredi 15 juillet 2022 au samedi 23 juillet 2022
à 16h. Relâche le 18. Tél : 04 90 14 14 14. Durée : 1h40.