La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Sang et roses

Sang et roses - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Koen Broos Légende photo : Abke Haring (Jeanne d’Arc) et Johan Leysen (Gilles de Rais)

Publié le 10 février 2012 - N° 195

L’auteur Tom Lanoye et le metteur en scène Guy Cassiers signent un ambitieux diptyque sur les destins croisés de Jeanne d’Arc et Gilles de Rais.

Gravée en sainte icône au fronton de l’histoire de France, Jeanne d’Arc (1412-1431) fascine depuis des siècles : redoutable guerrière inspirée par le divin et chaste martyre, celle qui jeta son âme et sa jeunesse dans l’âpre fureur de la Guerre de Cent ans et sauva le pays de l’envahisseur anglais s’érige en emblème, mystique et politique, de courage, de pureté et d’abnégation. Gilles de Rais (1404-1440), son fidèle compagnon d’armes, lui aussi flamboie de tout son mystère dans la lueur du Moyen-âge : l’impitoyable chevalier et fortuné seigneur, qui ferrailla sans pitié contre l’ennemi et combattit en héros, se révéla tortionnaire sanguinaire féru d’alchimie, s’adonnant à la dépravation sexuelle sur des centaines d’enfants. Complice de Guy Cassiers, l’écrivain flamand Tom Lanoye embrasse en une pièce ces deux figures, qui mêlent le sang et la bravoure en leur cœur, comme les deux faces d’une personnalité trouble. Ainsi se rejoignent dans le tragique du destin le sublime et l’abject, la vierge et le diable…

Péplum médiéval

Construit en diptyque, où les deux volets se répondent en miroir inversé, Sang et Roses brode sur les faits historiques pour tisser le parcours, de l’ascension à la déchéance, de deux êtres broyés par ceux qui avaient consacré leur grandeur : l’une, femme-enfant sacrifiée, l’autre, pieux soldat changé en monstre. Boursouflé par un lyrisme emprunté, le texte traine une vision toute romantique et psychologisante de cette période, qu’il farcit de critiques censées résonner aujourd’hui : le cynisme du pouvoir, l’église comme puissance politique, la primauté des intérêts économiques et l’instrumentalisation des questions spirituelles, le triomphe de l’hypocrisie sur la sincérité, la fabrication de « Jeanne » comme outil de communication… Malgré l’ambition du sujet, qui compare la fin du Moyen-âge à notre époque, marquée par « la mondialisation, l’internet, les mouvements migratoires » qui donne « aussi l’impression de vivre une « fin de régime » », ce théâtre-là sonne bien creux. Marlowe et Shakespeare, qui ont trempé leur plume dans les tourments du 15e siècle, ou Georges Bataille dans son Gilles de Rais, racontent bien plus du bouleversement des valeurs et de l’avènement d’un nouvel ordre dans une société qui rompt avec la féodalité. Le savoir-faire de Guy Cassiers, qui déploie sa panoplie habituelle d’effets esthétiques et dramatiques (visages en gros plan captés en vidéo, chuchotement hypnotique des voix sonorisées, riches décors et costumes), séduit et mène l’intrigue mais ne compense pas le manque d’envergure des personnages taillés sans finesse. Restent heureusement les acteurs, qui maîtrisent leur jeu à merveille, et la beauté des chants polyphoniques interprétés par le Collegium vocale Gent.

Gwénola David


Sang et roses, de Tom Lanoye, mise en scène de Guy Cassiers. Du 8 au 12 février 2012, à 20h sauf dimanche à 15h. Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, 75006 Paris. Tél. : 01 44 85 40 40 et www.theatre-odeon.fr . En néerlandais surtitré. Durée : 2h30. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2011.

A propos de l'événement


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