La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Sandrine Bonnaire, bouleversante dans « L’Amante anglaise » mise en scène par Jacques Osinski

Sandrine Bonnaire, bouleversante dans « L’Amante anglaise » mise en scène par Jacques Osinski - Critique sortie Théâtre Paris
Sandrine Bonnaire, bouleversante interprète de Claire Lannes. © Pierre Grosbois

Théâtre de l’Atelier / texte Marguerite Duras / mise en scène Jacques Osinski

Publié le 29 octobre 2024 - N° 326

Avec Sandrine Bonnaire, Grégoire Oestermann et Frédéric Leidgens, Jacques Osinski met en scène la partition durassienne, inspirée d’un fait divers réel. Deux interrogatoires s’y succèdent, concentrés et subtils, en recherche d’une impossible explication.    

Un rideau de fer baissé qui dans un second temps laissera place au vaste espace nu du Théâtre de l’Atelier : comme l’indique d’emblée la didascalie initiale de la pièce, « aucun décor » n’est nécessaire pour donner lieu à ce théâtre mental, où agissent et résonnent entre elles les voix de trois protagonistes. L’interrogateur à l’identité indéterminée, installé parmi le public, qui connaît déjà tout ce qui peut l’être de ce fait divers qui a stupéfié la petite ville de Viorne dans l’Essonne ; la meurtrière, Claire Lannes, qui a assassiné sa cousine sourde et muette Marie-Thérèse Bousquet, a dépecé son corps puis a disséminé les morceaux dans les trains qui passent sous le Pont de la Montagne Pavée ; son mari, Pierre Lannes, que Marguerite Duras décrit comme « la quintessence du petit bourgeois haïssable », que l’écrivaine a tenu à faire entendre – et il est vrai que ses paroles sont éclairantes. Dans le fait divers réel qui a inspiré Duras, c’est son mari tyrannique qu’assassine Amélie Rabilloud, à Savigny-sur-Orge en décembre 1949. Duras a d’abord écrit une pièce de théâtre, Les Viaducs de Seine-et-Oise (1960), puis un roman, L’Amante anglaise (1967), et enfin son adaptation théâtrale, mise en scène par Claude Régy en 1968 avec Madeleine Renaud, Michaël Lonsdale et Claude Dauphin. L’écrivaine s’est beaucoup intéressée au fait divers, au mystère qu’il représente, aux douleurs que peut-être il révèle. À travers l’acte criminel, Duras interroge aussi le « rêve du crime » qui « peut arriver à tout le monde ». L’écriture fait place à l’environnement social, laisse émerger les failles de l’esprit, les vides de l’existence. Les amours passées et la débâcle du mariage de Claire et Pierre.

Du banc du jardin à la folie du crime

 Après ses mises en scène finement sculptées de Beckett en compagnonnage avec Denis Lavant, Jacques Osinski en vient à Duras, « en s’attachant uniquement au texte ». Soit aux acteurs. Après un prologue lors duquel une voix retrace le déroulement des faits jusqu’à l’arrestation de Claire a lieu l’interrogatoire de Pierre Lasnes, que Grégoire Oestermann interprète remarquablement, avec cette forme de détachement presque désinvolte que permet le surplomb, avec franchise aussi, car il n’esquive aucune question. On ne s’ennuie pas une seconde pendant cette confrontation. Il évoque la folie de Claire, déclare que tous deux vivaient dans « l’indifférence complète depuis des années ». Elle passait beaucoup de temps sur le banc dans le jardin, là où pousse la menthe anglaise, mots qu’elle a par ignorance orthographiés « l’amante anglaise ». Accroché à son confort, lui a bien profité de la présence de Marie-Thérèse, très bonne cuisinière, qui fut la véritable maîtresse de maison. Lorsque le rideau s’efface, la fine silhouette de Claire s’avance. Elle est à son tour interrogée, mais malgré sa bonne volonté ne peut expliquer. Sandrine Bonnaire, juste, bouleversante, laisse voir l’intense désarroi et la réalité énigmatique de Claire. Dans cet exigeant théâtre du dire que cisèle le metteur en scène, les corps presque immobiles, presque encombrants, sont relégués pour laisser voir les visages et les troubles intérieurs. À l’inverse, l’interrogateur qui demeure quasi tout le temps de la représentation parmi le public n’est qu’une voix, profonde, tranchante, celle de Frédéric Leidgens. Sorte de double de Duras, il cherche à comprendre, il donne place au langage. On regrette qu’il ne puisse lui aussi être vu, afin de donner plus de densité à l’interrogatoire.

Agnès Santi

A propos de l'événement

L’Amante anglaise
du jeudi 19 décembre 2024 au mardi 31 décembre 2024


Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h. Relâche les lundis. Tél. : 01 46 06 49 24. Durée : 2h15.

En tournée du 9 au 11 janvier 2025 au Théâtre Montansier (Versailles), le 14 janvier 2025 au TAP Poitiers, les 16 et 17 janvier 2025 à Toulon (Châteauvallon-Liberté scène nationale), le 8 février 2025 aux Franciscaines (Deauville).

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