SAMĀ’ la lumière exilée de Pierre Thilloy dans la mise en scène de Frédéric Fisbach : une saisissante performance de la derviche Rana Gorgani
En tournée
Publié le 2 décembre 2022 - N° 305Le GRRRANIT a présenté la première mondiale de SAMĀ’ la lumière exilée, songe symphonique Orient-Occident de Pierre Thilloy, artiste associé à la scène nationale de Belfort. Le dépassement des clivages entre les formes et les traditions voulue par cette création hybride s’affirme d’abord dans la saisissante performance de la derviche tourneur Rana Gorgani.
Née en Allemagne d’une mère iranienne et d’un père kurde, Rana Gorgani est l’une des rares femmes illustrant la tradition des derviches tourneurs initiée par le fils de Rûmî, poète persan du treizième siècle, comme voie d’accès au divin par la danse et la musique. En portant sur scène, à visage découvert, cette mystique soufie, la danseuse, qui vit désormais en France, défend, mieux qu’aucune autre initiative, la transsubstantiation artistique d’un héritage religieux et la soif de liberté des Iraniennes. Dans une scénographie modelée par des éclairages, jusqu’à l’éblouissement final attendu, qui habillent le tulle séparant l’orchestre, en fond de plateau, et les solistes à l’avant, Frédéric Fisbach accompagne le dévoilement de la derviche, ses strates vestimentaires et la coiffe qui la recouvre : la libération de sa toison de jais au cœur de la continuité rotative, que fait vivre l’expressivité du jeu de mains, constitue l’un des moments forts de la soirée, où la charge symbolique du geste se trouve magnifiée par son raffinement et son intériorité.
Des interprètes portés par la musique
Ceux-ci se révèlent quelque peu exilés dans une partition dont le numéro d’opus, 259, peut suggérer l’esthétique. Confiée à la quarantaine de musiciens de l’Orchestre-Dijon Bourgogne placés sous la direction de Joseph Bastian, la pièce de Pierre Thilloy privilégie un nappage symphonique, amplifié par une modélisation sonore essentiellement illustrative, et d’où ne se détachent que les solos du violon de Quentin Vogel et de l’accordéon d’Anthony Millet, dans des duos formant parenthèse à la plénitude des décibels. Les ressources suggestives des percussions de Habib Meftah, doublées par Reza Samani, se trouvent immergées dans le flot d’une écriture qui s’appuie sur la densité des cordes rehaussée çà et là de péroraisons passablement prévisibles des cuivres. Avec la tessiture de contre-ténor, le compositeur a choisi une couleur et un timbre évocateurs dont il dilue la fragilité dans un dispositif sonore à l’intensité trop monochrome qui couvre les changements de registre des invocations de Rémy Bres-Feuillet. Celles du récitant et metteur en scène, également investies, réduisent souvent les pages tirées des Vers d’exil de Claudel, des poèmes de Rûmî ou des prophéties de Nostradamus, à une puissance déclamatoire qui porte les interprètes, mais manque, en fin de compte, à l’image de la création, la fécondité potentielle des noces entre l’Orient et l’Occident.
Gilles Charlassier
A propos de l'événement
SAMĀ' la lumière exiléedu vendredi 9 décembre 2022 au vendredi 9 décembre 2022
La Maison Scène conventionnée
2 Bd Pierre de Coubertin, 58000 Nevers
Spectacle vu au GRRRANIT, scène nationale de Belfort.
En tournée à L'Arc Scène national Le Creusot le 2 décembre 2022, à La Maison Scène conventionnée, 2 Bd Pierre de Coubertin, 58000 Nevers. Le 9 décembre 2022. Tél : 03 86 93 09 00.
Scènes du Jura Scène nationale Dôle le 13 décembre 2022.
Dates en 2023 à l'Opéra de Dijon, en Italie, à Montpellier, Nice, Toulon, au Maroc.