Phia Ménard donne un coup de jeune à l’opéra de chambre de Philip Glass
FESTIVAL NEXT / En tournée / Le Bateau Feu / Théâtre impérial de Compiègne / Théâtre Ledoux à Besançon / Comédie de Clermont-Ferrand / MC2 Grenoble / etc.
Publié le 29 novembre 2022 - N° 305À l’invitation de la Co[opéra]tive et programmé dans le cadre du festival transfrontalier NEXT, Phia Ménard met en scène Les Enfants terribles, superbe opéra de chambre de Philip Glass pour quatre voix et trois pianos, avec à la direction musicale Emmanuel Olivier. Une réussite !
Saisissantes, promptes à mettre en pièces certains égarements et dérives érigés en normes, les créations de Phia Ménard traduisent autant un besoin de liberté qu’un besoin de pensée. On imagine que se confronter aux multiples contraintes exigées par l’opéra est un défi particulier pour une artiste aussi entière, œuvrant à la croisée des disciplines entre théâtre, performance, danse, arts visuels, cirque… Si elle a accepté de mettre en scène Les Enfants terribles, c’est évidemment pour la musique de Philip Glass, mais aussi pour son livret non conformiste, habité de personnages excessifs et passionnés. Ce livret de Philip Glass et Susan Marshall (1996) se fonde sur le film de Jean-Pierre Melville (1951), lui-même adapté du roman de Jean Cocteau (1929). Le poète y met en scène deux adolescents, Elisabeth et Paul. Ce dernier, après avoir reçu une pierre dissimulée dans une boule de neige, doit garder la chambre. Paul aime le « bad boy » Dargelos, celui-là même qui lui a jeté la boule de neige, comme il aimera Agathe. L’ami Gérard est quant à lui amoureux d’Elisabeth. L’aspect à l’époque transgressif des relations n’est pas ce qui rend la pièce intéressante. Au contraire, se détacher des aléas d’une intrigue alambiquée parfois difficile à suivre permet de davantage goûter la beauté et la créativité de la mise en scène de Phia Ménard. Sa vision de l’œuvre donne corps à une ronde obsessionnelle, démultipliée, qui laisse cours à la puissance de l’imagination, qui célèbre les tumultes et les affrontements des pulsions de vie alors même que la mort approche. Les adolescents y sont devenus des personnes âgées dans un EHPAD, et cette transformation fonctionne bien.
Une scénographie qui danse
En route vers le chaos, ils s’aiment, s’insultent, se trahissent, se castagnent. Paul est en fauteuil roulant, Elisabeth est à ses côtés, ponctuellement un casque de réalité virtuelle les projette dans un ailleurs, et leurs bras alors dansent de joie. Certaines scènes comme celle des costumes-cabanes libèrent une merveilleuse fantaisie (costumes de Marie La Rocca). À l’image du temps qui ne faiblit jamais, du tourbillon des passions ou du continuum ininterrompu et hypnotique de la musique, le mouvement emporte tout : les personnages, les images et les sons. Agrémentée des belles lumières d’Eric Soyer, une tournette formée de trois anneaux indépendants fait danser la scénographie plutôt que les corps. Sur l’anneau extérieur qui encadre l’action, Nicolas Royez, Flore Merlin et Emmanuel Olivier, aussi directeur musical, et leurs trois pianos numériques blancs. Quant au narrateur (Jonathan Drillet), il se fait conteur, mais aussi aide-soignant organisant un atelier d’origami (écrevisses au programme !), et lors d’un intermède fait entendre les paroles de Cocteau extraites de Jean Cocteau s’adresse à l’an 2000 (juin 1962), évoquant entre autres l’antigravitation… Sans cesse en mouvement, et sans le secours d’un chef, les chanteurs et chanteuses Olivier Naveau (Paul), Mélanie Boisvert (Elisabeth), Ingrid perruche (Dargelos / Agathe) et François Piolino (Gérard) réalisent la prouesse de maîtriser une partition millimétrée exigeante qui les engage fortement. À propos des personnages, Phia Ménard confie : « Ils et elles me touchent parce que j’y vois mes propres parents ». Célébrant l’entêtement et l’impétuosité du désir, ses traces invisibles et visibles comme celles fragiles d’un polaroïd, célébrant le souvenir qui comme l’art demeure et nourrit nos cœurs et nos imaginaires, la mise en scène de Phia Ménard est un joli coup de jeune.
Agnès Santi
* collectif de production rassemblant six structures culturelles : les scènes nationales de Besançon, Dunkerque, Quimper, ainsi que le Théâtre impérial – Opéra de Compiègne, l’Opéra de Rennes, et l’Atelier Lyrique de Tourcoing
A propos de l'événement
Les Enfants terriblesdu jeudi 1 décembre 2022 au vendredi 2 décembre 2022
Le Bateau Feu - Scène nationale Dunkerque
Place du Général de Gaulle, 59140 Dunkerque
Dans le cadre du Festival NEXT en partenariat avec La Rose des Vents. Spectacle vu au Théâtre municipal de Tourcoing le 27 novembre. Durée : 1h30.
Tél : 03 28 51 40 40. Théâtre impérial de Compiègne, 3 rue Othenin, 60200 Compiègne. Le 7 décembre. Tél : 03 44 40 17 10. Théâtre Ledoux, 49 rue Megevand, 25000 Besançon. Les 10 et 11 janvier. Tél : 03 81 87 85 85. Comédie de Clermont-Ferrand, 69 Bd François Mitterand, 63000 Clermont-Ferrand. Les 17, 19 et 20 janvier.
Également à la MC2 de Grenoble (1er et 2 février), Théâtre National Wallonie-Bruxelles (10 et 11 février), MC93 de Bobigny (23, 24 et 26 février).