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Classique / Opéra - Entretien

No(s) Dames revisite quatre siècles de femmes sacrifiées sur la scène lyrique, rencontre avec Théophile Alexandre

No(s) Dames revisite quatre siècles de femmes sacrifiées sur la scène lyrique, rencontre avec Théophile Alexandre - Critique sortie Classique / Opéra Paris Le Trianon
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Légende : Le contre-ténor Théophile Alexandre dans No(s)Dames. Crédit : Julien Benhamou

ENTRETIEN

Publié le 22 novembre 2022 - N° 305

« Hommage dégenré aux héroïnes d’opéra » pour contre-ténor et quatuor à cordes féminin, No(s) Dames revisite quatre siècles de femmes sacrifiées sur la scène lyrique dans une proposition inédite qui inverse les rôles établis par la tradition. Avant leur passage au Trianon de Paris, le chanteur Théophile Alexandre revient sur la création de ce «projet lyrique humaniste» qu’il porte avec le Quatuor Zaïde, dans un spectacle mis en scène par Pierre-Emmanuel Rousseau.

Comment est née l’idée du spectacle No(s) Dames?

Théophile Alexandre : Petit, j’étais fasciné par Carmen sans comprendre vraiment qu’elle payait de sa vie sa liberté. J’ai pris conscience tardivement que dans les opéras, tous composés par des hommes, les héroïnes meurent inlassablement, l’époque romantique étant l’apogée de cette sublimation dans la souffrance. La répétition implacable de ce scénario me dérange : j’ai voulu renverser cette fatalité de genre en incarnant, en tant qu’homme, ces destins de femmes sacrifiées, et redistribuer la direction musicale à un quatuor de femmes, pour proposer une relecture qui dissocie enfin drames et dames. Le projet est décliné en spectacle, disque et livre d’entretiens menés par Arièle Butaux dans lequel treize femmes d’arts et de lettres aussi diverses que Catherine Clément, Carole Martinez, Macha Makeïeff ou Maguy Marin, sont interrogées sur cet héritage de corsets de genre.

Quelle forme prend votre relecture scénique ?

T.A. : Nous l’avons construite comme un thriller musical, réinventant une vingtaine d’airs d’héroïnes tragiques qui se répondent les unes aux autres et sont réparties selon trois grands clichés opératiques : les madones, les putains et les sorcières. Pour la mise en scène, Pierre-Emmanuel Rousseau a imaginé un cabinet de curiosités habillé de vidéos qui convoquent les fantômes de ces femmes martyres et exposent un reliquaire d’accessoires de divas, aussi magnifiants que maltraitants : gant rouge sang, talons aiguilles, robes-corsets, bijoux qui étranglent… En une heure dix, le spectacle détourne les poncifs des livrets d’opéra, et inverse les rôles pour libérer cette musique sublime de ses carcans d’un autre temps.

« J’ai voulu renverser cette fatalité de genre en incarnant, en tant qu’homme, ces destins de femmes sacrifiées. »

Quels sont les principes qui ont guidé l’adaptation musicale ?

T.A. : Nous avons fait appel à Éric Mouret, violoniste et arrangeur qui connaît à la fois l’opéra et la musique de chambre, afin de transformer ces partitions pour soprano et orchestre en pages pour contre-ténor et quatuor, en jouant sur les tonalités et en ajoutant des transitions pour relier ces airs d’héroïnes à leur communauté de destinée tragique. Les cadences suraiguës, véritables «colora(tor)tures» car elles rendent l’articulation du langage impossible, ont été supprimées pour réhumaniser ces arias. De même, l’intimité chambriste permet d’éviter de forcer la voix et de sortir de la démonstration. Cette réécriture au plus près du chant et de l’émotion fait ainsi entendre au public la souffrance réelle de ces femmes, condamnées depuis des siècles aux rôles d’éternelles victimes. Avec les Zaïde, nous avons exploré, par nos interprétations, la puissance du féminin et la fragilité du masculin, pour dégenrer les attributions habituelles et déranger les stéréotypes.

En quoi No(s) Dames renouvelle-t-il la forme du récital lyrique ?

T.A. : Le récital traditionnel est souvent statique et déroule un patchwork d’airs sans réel propos de fond. A l’inverse, nous avons voulu réinventer ce format par une mise en scène, une scénographie, des projections vidéos et une mise en mouvement du quintette sur scène. Mais surtout, nous proposons un point de vue renouvelé sur ces œuvres, à la fois musical et sociétal, pour démuséifier cette musique et la projeter vers l’avenir en incarnant de nouveaux modèles, loin des caricatures.

 

Propos recueillis par Gilles Charlassier

A propos de l'événement

No(s) Dames
du lundi 9 janvier 2023 au lundi 9 janvier 2023
Le Trianon
80 bd Marguerite de Rochechouart, 75018 PARIS

à 20 heures. Durée : 1h10. Tél. 01 44 92 78 05.

En tournée à Château-Arnoux-Saint-Auban le 10 février 2023, à Laval le 4 mars 2023, à Montauban le 10 mars 2023, à Meudon le 29 mars 2023, à Lisieux le 13 avril 2023.

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