Andromaque
Frédéric Constant crée la tragédie [...]
Deuxième spectacle pour Perez et Boussiron cette saison au Rond-Point, avec une création où le western vire au cauchemar. Une pièce au baroque échevelé pour des compositions d’acteurs jubilatoires.
On avait quitté le duo fantasque de la Compagnie du Zerep sur un Oncle Gourdin dont le foisonnement de références culturelles avait laissé l’auteur de ces lignes bien perplexe. Prélude à l’agonie, créé aux Subsistances à Lyon, réouvre en grand les portes du théâtre de ces deux enfants terribles de la scène hexagonale, dont le style barré bouscule depuis longtemps les codes de la représentation et laisse la part belle à l’impro et à la folie de l’acteur. Leur troupe fidèle, dans laquelle on retrouve entre autres Gilles Gaston Dreyfus – ancien de la bande à Baer -, s’en donne d’ailleurs encore une fois à cœur joie dans un spectacle qui débute par une parodie de théâtre de boulevard – dans un format réduit puisqu’interprétée par des nains dans une scénographie taillée à leur dimension – avant de renverser la cloison bourgeoise du vieux continent et d’ouvrir les portes du Far West, du saloon et de la steppe. On pourrait se croire parti pour la conquête du Grand Ouest, mais ce serait mal connaître l’art du contre-pied de Perez et Boussiron. En robe de femme, Stéphane Roger se plaint de son texte, ou plutôt de son absence de texte, daube drôlement sur ses metteurs en scène, sur ses partenaires, et nous voilà partis dans une succession de tableaux qui déplacent sans cesse les frontières du bon goût, ramènent sans cesse l’homme à sa monstruosité et développent un univers visuel fantastique et inquiétant.
La Mort et la Joie
Une grande dépouille de cheval trône au centre de la scène. Autour : des battants de saloon surdimensionnés, un talus, des breloques qui pendent, on se croirait dans un grand terrain vague où s’enchevêtrent des univers aux échelles incohérentes. Le travail de la compagnie part traditionnellement de la scénographie. Encore une fois, l’improvisation qui modèle ensuite la pâte du spectacle est palpable : les comédiens grimés, travestis, masqués s’enlaidissent l’âme et le corps à foison, et laissent paraître dans un registre carnavalesque la bassesse de leurs instincts que contrecarre seule la joie de leur représentation. Pour Sophie Perez, « les seuls thèmes qui résonnent toujours en fond de cale, et qui sont vraiment intéressants à traiter, sont la Mort et la Joie ». Prélude à l’agonie en donne une illustration frappante, qui donne au rire une couleur noire, malmène les valeurs et conteste l’ordre établi dans un bric-à-brac de music-hall où l’homme paraît pour ce qu’il est : aussi hideux qu’un monstre de foire, lui dont toute la beauté réside dans cette capacité à se dresser des miroirs et à faire spectacle pour rire de sa laideur plutôt que d’en pleurer.
Eric Demey