Nina et les managers, de Catherine Benhamou, mise en scène de Ghislaine Beaudout
Ghislaine Beaudout met en scène le texte [...]
Avec Marcial Di Fonzo Bo et Jean-Christophe Folly, Elise Vigier met en scène un portrait poignant autour de l’amitié unissant le photographe Richard Avedon et l’écrivain James Baldwin. Un portrait ancré dans l’Amérique des années 1960, qui saisit aussi ce qui fonde à toute époque les travers et les beautés des comportements humains.
Le plateau est ici un espace de travail semblable à un studio de photo, mais surtout un espace de rencontres. Au pluriel. Celle qui est représentée entre Richard Avedon et James Baldwin, celle qui se noue entre les comédiens Marcial Di Fonzo Bo et Jean-Christophe Jolly, celle qui se crée entre le plateau et le public, et celle qui est appelée grâce à l’art et à ses expressions concrètes à traverser le temps, à s’adresser aux générations futures. Combien alors est importante l’appréhension de celui ou celle qui lit ou regarde : une question esthétique autant qu’humaine et politique. C’est l’une des belles qualités de ce spectacle : par sa manière subtile de tuiler les époques et de braquer le projecteur sur les personnages et les personnes, il élargit le champ, il fait naître l’émotion autant que la réflexion, il touche juste. Inscrit dans la veine des portraits réalisés par Marcial Di Fonzo Bo à la Comédie de Caen – dont Letzlove-portrait(s) Foucault par Pierre Maillet ou Portrait de Ludmilla en Nina Simone par David Lescot –, ce portrait éclaire la rencontre entre deux camarades de lycée dans le Bronx devenus dans les années 1960 des artistes reconnus, qui ont ensemble publié en 1964 Nothing Personal, un ouvrage culte qui conjugue les photos de l’un et les textes de l’autre, dans une mise en page tout en contrastes qui dresse une sorte de traversée de réalités américaines – un néo-nazi et le poète juif Allen Ginsberg, une Marilyn triste et l’écrivaine Dorothy Parker, Eisenhower et Malcom X, etc. Le photographe Richard Avedon, blanc, juif, hétérosexuel, d’une famille immigrée juive russe ; l’écrivain James Baldwin, noir, protestant, homosexuel, dont le père est prédicateur.
Observation et partage
Deux « frères en misère » devenus célèbres qui racontent en très fins observateurs leur enfance, leur famille, leur art, ce qu’ils aiment et n’aiment pas. Les théories ne les intéressent pas, mais la dignité et le combat contre l’injustice oui, l’intégration et l’aspiration à l’excellence oui. Librement inspiré par des essais et interviews, sans reprendre le contenu de Nothing Personal, le très beau texte d’Élise Vigier et Kevin Keiss mêle aux mots puissants des deux artistes américains ceux de Marcial et Jean-Christophe. Tous deux forment une belle paire d’acteurs, et les hésitations de Marcial Di Fonzo Bo quant à son texte s’estomperont sans doute après ce soir de première. Chacun montre des photos d’enfance, à Buenos Aires pour Marcial, rue d’Avron, en Normandie ou dans le Massif Central pour Jean-Christophe, dont le père est né au Togo. Orchestré avec science et sensibilité, dans une fluidité qui ne cherche surtout pas l’esbroufe ou la simplification, agrémenté de très belles vidéos de l’époque (Fred Astaire, quel swing !), l’ensemble compose un spectacle fort, touchant, qui s’élève contre l’ineptie des fantasmes identitaires d’une extrême-droite hélas aujourd’hui démultipliée, et ce alors qu’une tendance à l’étiquetage des luttes caractérise une partie de la gauche dite radicale. Ce qui rend ce spectacle aussi poignant, c’est que, comme le dit Jean Renoir à Richard Avedon, « ce n’est pas ce qu’on dit qui compte, ce qui compte ce sont les sentiments qui s’échangent au-dessus de la table. ». Et aussi au-dessus du plateau, jusqu’à nous.
Agnès Santi
Du 29 mars au 3 avril 2022 à 20h30, du 6 au 17 avril à 21h. Le dimanche à 15h30. Relâche les lundis et le 5 avril. Durée : 1h05.
Tél. : 01 44 95 98 21. www.theatredurondpoint.fr.
Ghislaine Beaudout met en scène le texte [...]