La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Poings, texte Pauline Peyrade, mise en scène Das Plateau – Céleste Germe

Poings,  texte Pauline Peyrade, mise en scène Das Plateau – Céleste Germe - Critique sortie Théâtre Gennevilliers T2G – Théâtre de Gennevilliers - Centre dramatique national
© Simon Gosselin Poings

T2G – Théâtre de Gennevilliers - Centre dramatique national

Publié le 3 février 2022 - N° 296

Traversée d’une relation de couple toxique et avilissante, Poings de Pauline Peyrade parvient à exprimer ce qui la sous-tend de manière juste, aiguë, profondément intime. La metteuse en scène Céleste Germe et le collectif Das Plateau laissent voir l’au-delà de la surface des choses, jusqu’à l’échappée finale d’une femme qui se libère.

« Je suis partie de très loin Pour arriver jusqu’à moi (…) J’entends encore mon souffle court Qui courait dans tous les sens de la vie. » L’épigraphe* du texte aigu de Pauline Peyrade en explique la structure éclatée, visible dans la disposition même des mots sur la page et divisée en cinq séquences comme autant de moments de l’histoire – Ouest / Nord / Sud / Points / Est. Cet éclatement est aussi un écartèlement, qui scinde le personnage féminin en deux voix où se mêlent des sentiments contraires et où sourd une culpabilité : Toi et Moi, tandis que le personnage masculin est simplement Lui. Esquissé à l’occasion du Festival d’Avignon 2015 lors d’un Sujet à vif avec la circassienne Justine Berthillot, devenu un récit aigu en forme de traversée d’une relation toxique, récit notamment finaliste du Grand Prix de Littérature Dramatique d’Artcena en 2018,  Poings parvient à exprimer les non-dits et les implications d’une relation marquée par l’emprise et la violence, depuis la rencontre lors d’une rave party (une première scène un peu longue) jusqu’à la fuite éperdue et libératrice en rollers. Il n’est pas simple de mettre en scène cet itinéraire où affleurent différentes strates de réalité et de perception, où émergent ce qui est dit et ce qui est inavouable. Soutenue par le travail sonore de Jacob Stambach, la scénographie de James Brandily et la création vidéo de Flavie Trichet-Lespagnol, la mise en scène donne forme dans une dramaturgie plurielle et sophistiquée à la dissociation de soi, à l’espace mental chaotique du personnage féminin, en lutte malgré l’immense difficulté de s’arracher à la domination.

Toute l’étendue de l’emprise

Images dédoublées, voix qui se superposent, boucles qui se répètent, espace scandé de reflets et de diffractions : le dispositif multimédia fait écho aux réalités psychiques invisibles et parvient à éviter l’écueil d’un formalisme soigné qui pourrait amoindrir l’intensité poignante de la traversée. Né selon l’autrice d’une nécessité intime, le texte est une plongée dans les entrailles du chaos mental, servie par l’interprétation fine et sensible de Maëlys Ricordeau et Antoine Oppenheim. Marquée par le traumatisme d’un viol conjugal, crûment raconté, la relation exprime de manière très juste toutes les humiliations ordinaires, toute l’étendue de l’emprise. « Tu ne comprends pas que je t’aime ? » répète-il.  Tout est dit. Le rabaissement, la domination, l’absence totale de remise en cause… Bouleversant, le monologue final exprimant ce que signifie  « quelqu’un qui t’aime » est un moment particulièrement fort. Loin d’un féminisme qui se perd en obsessions oiseuses, ce spectacle éclaire une lutte essentielle, rappelle à quel point il est difficile, courageux et nécessaire de se défaire de l’emprise d’hommes révélant dans l’intimité un effarant pouvoir de destruction.

Agnès Santi

*Rita Mestokosho L’insurrection poétique, manifeste pour vivre ici

A propos de l'événement

Poings
du mardi 1 février 2022 au samedi 12 février 2022
T2G – Théâtre de Gennevilliers - Centre dramatique national
41 avenue des Grésillons, 92230 Gennevilliers

du 1er au 4 à 19h, les 5 et 6 à 16h, du 8 au 11 à 20h, le 12 à 18h. Tél. : 01 41 32 26 26. www.theatre2gennevilliers.com. Avec Nanterre-Amandiers, Centre Dramatique National. Durée : 1h15. Texte publié aux Solitaires Intempestifs.

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