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Théâtre - Entretien

Jean-Louis Benoit met en scène Huis clos de Jean-Paul Sartre

Jean-Louis Benoit met en scène Huis clos de Jean-Paul Sartre - Critique sortie Théâtre Paris THEATRE DE L'ATELIER
Le metteur en scène Jean-Louis Benoit © DR

Théâtre de l’Atelier / texte de Jean-Paul Sartre / mise en scène Jean-Louis Benoit

Publié le 27 janvier 2022 - N° 296

« L’enfer, c’est les autres. » Jean-Louis Benoit met en scène la pièce dans laquelle Sartre illustre les principaux concepts de l’existentialisme, en exaltant sa force comique sur un rythme endiablé.

Pourquoi choisir cette pièce et que faites-vous de sa réputation de lourdeur didactique ?

Jean-Louis Benoit : Je ne trouve pas cette pièce didactique. C’est une pièce extrêmement charnelle où les conflits entre les êtres sont puissants, électriques, violents. Ils s’empoignent, cherchent à s’embrasser, se heurtent, se repoussent. Il s’agit bien sûr d’une vulgate de l’existentialisme qui parle de la liberté et de son importance. Sartre se sert de la mort pour élucider les caractéristiques d’une vie où l’on renonce à la liberté. Les trois personnages ont vécu dans la mauvaise foi, cette posture de croyance au déterminisme d’où la liberté est absente. Or, pour être un homme libre, il faut faire le point sur soi-même et produire une analyse impitoyable de sa situation. Voilà pourquoi ces personnages ont à s’expliquer. Pourquoi sont-ils en enfer ? Telle est la question que pose Inès – maîtresse du jeu – de manière récurrente et à laquelle ils ont du mal à répondre sans mentir. Cette pièce est souvent montée de façon très grave, très messagère, avec souvent trop de grandiloquence. Mais l’enfer dont il est question n’est pas celui de Dante ! C’est un enfer quotidien, qui pourrait se passer dans une cuisine, ou, comme l’indique Sartre, dans une chambre banale. C’est une pièce qui souffre de la même réputation que celle qui afflige Sartre, à qui l’on reproche aujourd’hui certains engagements discutables en oubliant que lorsque l’on s’engage, on prend forcément le risque de se tromper. C’est aussi parce que j’aime Sartre et qu’il me manque aujourd’hui que j’ai eu envie de monter Huis Clos.

 « J’ai voulu un spectacle réaliste, tout nu. »

Pourquoi ce désamour ?

J.-L. B. : Sans doute à cause de la force des engagements et des prises de position dont ne sont plus capables les intellectuels contemporains. Je regrette ce temps où des gens comme Sartre ou comme Michel Foucault, pour ne citer qu’eux, étaient des repères dont on écoutait les analyses. Sans doute aussi à cause de la tartufferie revenue, que cette pièce dénonce en mettant à jour ceux qui n’accordent pas leurs actes avec ce qu’ils disent. Écrite fin 1943 et créée en mai 44, elle paraît particulièrement virulente et insolente à l’époque et j’ai rarement lu des critiques aussi violentes que celles qu’elle a subies, jusqu’à demander qu’elle ne soit plus jouée. André Castelot, dans un article de La Gerbe de juin 44 réclame son interdiction « non pour médiocrité, mais pour laideur néfaste » et parle d’une « ordure » portant atteinte à l’ordre moral !

Comment expliquer cette détestation ?

J.-L. B. : Pour la première fois au théâtre, une lesbienne (scandale pour l’époque), qui plus est la plus intelligente des trois personnages, est entourée par un don Juan cynique, déserteur et traître, et une femme, Estelle, qui a tué le bébé qu’elle a eu avec son amant en trompant son mari. Au moment où la natalité est au plus bas en France, ça ne pouvait pas passer ! La Collaboration a descendu cette pièce et pourtant elle est un démarrage qui prépare le terrain du théâtre de l’absurde. Sartre se défendait d’écrire comme Beckett ou Ionesco, n’empêche que c’est par l’absurde qu’il dénonce les choses. Et puis il y a cette phrase, « l’enfer c’est les autres », qui n’a pas été comprise. Sartre ne dit pas qu’on ne peut pas vivre avec les autres, mais que l’on ne peut vivre avec eux que si l’on n’est pas soumis à leurs jugements et prisonnier de leurs regards. À l’époque, on joue les auteurs d’un théâtre psychologique, de caractères, or cette pièce évacue la fable : il n’y a pas d’intrigue, et les personnages s’y parlent comme on parle dans la vie. On découvre sur scène des gens qui nous ressemblent. Je ne suis pas particulièrement connaisseur en philosophie, mais il est évident que ce courant philosophique et cette pièce athée, qui exclut Dieu et l’excuse du déterminisme, et dans laquelle l’homme est ce qu’il se fait, est détestable aux yeux de beaucoup, non seulement à l’époque de sa création mais encore aujourd’hui.

Comment la mettez-vous en scène ?

J.-L. B. : À un train d’enfer, avec des personnages ordinaires qui parlent simplement – non sans humour – et qui se bagarrent entre trois canapés. Trois salauds qui essayent de « reconnaître » ce qu’ils ont fait dans leur courte vie. J’ai voulu un spectacle réaliste, tout nu : le décor est la cage de scène du théâtre avec son unique porte. Rien à rajouter, me suis-je dit, si ce n’est du sang neuf, pour que la jeunesse de cette pièce nous surprenne encore aujourd’hui.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Huis clos
du mercredi 2 février 2022 au vendredi 18 mars 2022
THEATRE DE L'ATELIER
1, place Charles-Dullin, 75018 Paris

Du mardi au samedi à 19h. Relâche le 4 février. Tél. : 01 46 06 49 24.

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