La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

L’Enfant que j’ai connu, texte d’Alice Zeniter, mise en scène de Julien Fišera

L’Enfant que j’ai connu, texte d’Alice Zeniter, mise en scène de Julien Fišera - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre Dunois
Anne Rotger dans L’Enfant que j’ai connu. © Simon Gosselin

Théâtre Dunois

Publié le 2 février 2022 - N° 296

Alice Zeniter et Julien Fišera imaginent une variation contemporaine sur le thème de la mère inconsolable. Anne Rotger incarne une intéressante et émouvante pietà, entre introspection et colère.

Nathalie Couderc fait partie de cette classe de nantis qui a l’habitude de cacher ses privilèges sous le masque de la chance, comme si le hasard plutôt que le déterminisme social l’avait mise à l’abri du besoin. « Blanche, bourgeoise, propriétaire » : elle reconnaît volontiers qu’elle est de ceux qui meurent plus vieux que les exploités. Son fils aurait dû hériter de cette espérance de vie, mais il a choisi la contestation active. Il est mort, tué par un policier lors d’une manifestation, sans pouvoir devenir libéral et bedonnant. « Je ne pensais pas que la police pouvait tuer des enfants blancs » a dit Nathalie Couderc devant les micros des journalistes. Elle a ainsi mis le feu aux poudres et elle doit se réfugier dans un appartement anonyme, à l’abri de la vindicte et du harcèlement. Elle croyait que son fils n’aurait pas à subir ce que d’autres victimes au destin irrespirable avaient enduré avant lui, dans le silence médiatique et politique, qui préfère éviter les vagues qu’annoncer la tempête. Nathalie Couderc est seule et son fils est mort. Son assassin a bénéficié d’un non-lieu. Alors elle hurle : elle est de celles que seule la mort peut faire taire.

Entre brûlot et flambeau

La parole de la mère est à la fois le récit de sa prise de conscience politique et le tombeau poétique de son fils. Sur le plateau nu, Anne Rotger circule entre les sacs en papier. Elle y pioche les accessoires qui soutiennent sa supplique. Avec la fougue et l’âpreté des survivants, la virulence et la tendresse des résistants, l’écœurement  des affligés, elle chemine entre souvenirs et analyse. Au contraire de son modèle chrétien, qui, au pied de la croix, ignore encore la vérité de la résurrection mais l’espère, cette mater dolorosa paraît convaincue que le ciel est vide et que la mort de son fils est absurde. Faut-il se réjouir que l’esprit révolutionnaire vienne à tous, si les nantis font enfin l’expérience de la violence légitime ? Faut-il craindre que la société ne se délite si la colère des mères les rend anarchistes ? Le texte d’Alice Zeniter ne tranche pas la question. Faut-il blâmer d’avoir élevé son enfant de travers ou se réjouir que la chair meurtrie réveille les bourgeois de leur sommeil dogmatique ? « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. » disait René Char. La lumineuse Anne Rotger contribue, par ce spectacle, à éclairer notre époque. Ni rire, ni pleurer, ni haïr. Comprendre. A moins que la nuit ne l’emporte à la fin, ce qui semble aujourd’hui bien parti.

Catherine Robert

A propos de l'événement

L’Enfant que j’ai connu
du mardi 1 février 2022 au samedi 12 février 2022
Théâtre Dunois
7 rue Louise-Weiss, 75013 Paris.

Du lundi au jeudi à 19h ; vendredi et samedi à 20h. Tél. : 01 45 84 72 00. A partir de 15 ans. Durée : 1h.

 

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