La Vallée de l’étonnement d’après la pièce de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, livret et mise en scène de Sylvain Maurice

Ce sont souvent des personnages à la marge, hors normes, qui intéressent le metteur en scène Sylvain Maurice. L’opéra L’Enfant inouï, créé avec Laurent Cuniot d’après L’Extraordinaire Garçon qui dévorait les livres d’Oliver Jeffers, relatait les aventures d’un enfant dévorant – littéralement – des bibliothèques entières. Tout aussi inouï, le cas de Sammy Koskas, doué d’une mémoire prodigieuse en plus d’être synesthète, c’est-à-dire d’associer sons, couleurs ou autres expressions sensorielles, fut révélé au public sur la scène des Bouffes du Nord à travers une pièce économe en moyens mais d’une profondeur poignante. The Valley of Astonishment, pièce écrite et mise en scène par Peter Brook et Marie-Hélène Estienne en 2014, clôtura un cycle de créations sur le cerveau, inauguré quelque vingt ans plus tôt par L’Homme qui d’après Oliver Sacks, suivi par Je suis un phénomène d’après Alexandre Luria. « La manière dont Peter Brook explore le cerveau à travers ces étrangetés neurologiques m’intéresse car elle célèbre l’humain dans sa singularité et sa complexité. Cette façon de sémantiser selon des modalités inédites, souvent drôles, crée aussi une forme de poésie étonnante. » précise le metteur en scène.

Étrangetés neurologiques

Les scientifiques se penchent sur le cas de Sammy, et il devient une sorte de bête de foire, un mentaliste d’exception engagé dans un show aliénant, qui le vide de toute subjectivité. Lorsque sa mémoire intime resurgit, une tension aiguë se crée. « Cette résurgence douloureuse me bouleverse, et ma mise en scène s’attache à rendre compte de l’opposition entre mémoire performative et mémoire sensible née de l’enfance. » confie Sylvain Maurice, qui pour faire naître tout un kaléidoscope de sensations et bousculements a choisi dans le prolongement de son travail la forme d’un théâtre musical. Le compositeur Alexandros Markeas, avec qui il a créé Désarmés (2017), compose une partition originale, porteuse d’abord d’une forte dimension spectaculaire avant de s’amenuiser, comme saturée de sa propre « accumulation de souvenirs vides ». Laurent Cuniot dirige l’ensemble TM+ (piano, percussions, clarinette, contrebasse, accordéon, saxhorn), accompagné par la soprano Agathe Peyrat, le baryton Philippe Cantor et les fidèles interprètes du compositeur Vincent Bouchot et Paul-Alexandre Dubois.

Agnès Santi