La Terrasse

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Théâtre - Critique

Pierre ou les ambiguïtés

Pierre ou les ambiguïtés - Critique sortie Théâtre
Légende : Pierre, héros en quête de vérité du Moukden Théâtre. Crédit photo : Olivier Kerven

Publié le 10 février 2012 - N° 195

Faisant écho au romantique “mal du siècle“, <i>Pierre ou les Ambiguïtés</i>, dans un contexte où le fiduciaire remplace la confiance, où le relativisme se transforme parfois en cynisme désespéré, s’interroge sur le réel bénéfice du doute.

Le Moukden-Théâtre s’est fait une spécialité de croiser les œuvres, les registres et les codes de jeu créant des pièces qui interrogent et commentent leur action en même temps qu’elles la déroulent. Chez les nôtres entrelaçait fort habilement un roman de Gorki et des textes contemporains du révolutionnaire Comité Invisible pour questionner ensemble, avec sérieux et humour, la possibilité et les modalités d’un Grand Soir. Jetant à son tour un pont entre questionnements du présent et œuvres du passé, Pierre ou les Ambiguïtés puise le matériau de son intrigue dans l’œuvre romanesque d’Hermann Melville. Pierre vit fiancé à la campagne  où il rencontre un jour une mystérieuse jeune femme qui affirme avoir été conçue hors mariage par son père. Cherchant à préserver l’honneur de son géniteur et à réparer les dommages de sa conduite, Pierre s’enfuit à New-York et se marie avec sa supposée demi-sœur. Tel Hamlet, la remise en cause d’une réalité stable ayant instillé le poison du doute dans son existence, il se précipite cependant dans le cours d’une existence tragique.

Tenir ce qu’on croit vrai pour vrai

Ce ne sont pas tant les revers de fortune de Pierre que les questionnements qui les engendrent qui constituent le moteur premier du spectacle. Encadrant une action interprétée tantôt avec détachement, tantôt avec ironie, tantôt avec intensité dramatique, deux acolytes facétieux – qui relaient les commentaires originaux du narrateur melvillien – font écho au feu intérieur qui ronge Pierre, sur le caractère désormais toujours incertain de ses représentations du réel, en même temps qu’ils raillent, piquent, attisent, rendent à la fois infernale et drôle cette décomposition du vrai. Le système met un peu de temps à prendre. La première partie peine avec des interrogations sur la Vérité qui paraissent artificiellement gonflées et des situations manquant de nécessité. La langue romanesque et théorique ne facilitant pas la tâche, il faut attendre la deuxième partie, que les protagonistes se rendent à New-York, que le commentaire fasse action à son tour, qu’intervienne la matière textuelle de L’escroc à la confiance du même Melville – qui souligne activement la dégradation de la confiance portée à l’homme parallèlement à l’ascension de celle portée à la monnaie – pour que l’ambitieux et stimulant dispositif prenne son essor. Il emporte alors par le jeu et la réflexion dans un constat profond et parfois jubilatoire sur le caractère insoutenable du doute, la nécessité et le désir de tenir ce qu’on croit vrai pour vrai.

Eric Demey


Pierre ou les ambiguïtés d’après des oeuvres d’Hermann Melville, mise en scène d’Olivier Coulon-Jablonka. Du 6 au 25 février à l’Echangeur, 59 avenue du général de Gaulle à Bagnolet. Tél :  01 43 62 71 20. Spectacle vu au Forum culturel de Blanc-Mesnil.

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