Des ruines… et Excuses et dires liminaires de Za
Deux textes de l’écrivain malgache Jean-Luc Raharimanana, mis en scène par Thierry Bédard, portent une parole qui peine tant à se faire entendre : celle du Sud, de l’Afrique, des anciennes colonies devenues pays de désastre que tout un monde se refuse d’écouter.
Lui, dont le Madagascar 1947, qui revenait il y a trois ans sur les méfaits de la colonisation à Madagascar, a été censuré par l’institution française, le sait concrètement. Lui qui habite cette île miséreuse, dont le développement économique est inversement proportionnel à l’instabilité politique, le vit concrètement : « Pour ne point rajouter à la douleur de l’Occident, je me dois d’être sans mémoire ». Ainsi parle Jean-Luc Raharimanana dont la voix est portée avec une juste sobriété par Phil Darwin Nianga dans le monologue Des Ruines…. Coincé entre une incapacité savamment entretenue par le politique à visiter son passé colonial, à reconnaître son néo-colonialisme larvé, et cet inconscient collectif où travaille sournoisement l’image de “l’homme africain“ benoîtement mise à jour par Sarkozy dans son discours de Dakar, l’Occident se détourne sans complexe de la réalité d’un monde qui n’existe plus qu’épisodiquement dans les médias, quand la catastrophe frappe un peu fort à sa porte. « J’en ai assez d’évoquer ce que tous savent (…) Je vis dans l’inacceptable (…) là où l’inacceptable doit se prouver. Faut-il ruser pour que vous m’entendiez ? ».
« L’endroit où l’on peut accepter l’inacceptable »
Des ruines… se fait donc l’écho d’une parole fatiguée. Fatiguée de porter cette voix que l’Occident se refuse d’entendre parce qu’elle l’accuse et parce qu’issue « de l’endroit où l’on peut accepter l’inacceptable car il faut bien qu’un tel lieu existe pour que puise s’envisager l’idée d’une possible pureté en nous ». Pour rendre cette voix audible, Raharimanana contourne habilement en donnant à les voir ces écueils du misérabilisme et de la revendication qui nous encouragent à la surdité. Sous une forme simple et argumentée avec des Ruines. Et par la poésie du récit d’Excuses et dires liminaires de Za, le monologue d’un malgache qui a perdu ses dents en prison et zozote un texte construit d’une énergie, d’un humour noir et d’une inventivité qui évoquent à la fois Michaux et Rabelais. Accompagné par Tao Ravao, qui alterne entre instruments modernes type guitare électrique et instruments traditionnels – guitare hawaïenne, luth malgache … – Rodolphe Blanchet y incarne cet édenté qui, humble et sarcastique, s’excuse d’exister. « Ecoutez-la donc ce à quoi Za n’arrête pas de poncer. Ma pérole. Za vous le dit, ma parole vous emmerde. Za vous emmerde ». Tout un symbole.
Eric Demey
Des Ruines… de Jean-Luc Raharimanana , mise en scène de Thierry Bédard du mercredi au dimanche jusqu’au 12 février. Excuses et dires liminaires de Za le dimanche uniquement, jusqu’au 12 février. A la maison de la poésie, passage Molière, 157 rue St-Martin à Paris.Tél : 01 44 54 53 00