La Terrasse

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Classique / Opéra - Entretien

Philippe Jaroussky dirige son premier opéra au Théâtre des Champs-Elysées puis à l’Opéra de Montpellier

Philippe Jaroussky dirige son premier opéra au Théâtre des Champs-Elysées puis à l’Opéra de Montpellier - Critique sortie Classique / Opéra Paris Théâtre des Champs-Élysées
© Josef Fischnaller Parlophone Records Ldt Philippe Jaroussky

THEATRE DES CHAMPS-ELYSEES / OPERA DE MONTPELLIER

Publié le 24 septembre 2021 - N° 292

Depuis ses débuts il y a 20 ans, le contre-ténor Philippe Jaroussky a toujours manifesté une grande indépendance artistique. Après avoir créé son propre ensemble (Artaserse, en 2002) et lancé l’Académie qui porte son nom (en 2017), cette star du chant reprend une fois de plus son destin en mains en se lançant aujourd’hui un nouveau défi : diriger ! Ses grands débuts dans une production lyrique auront lieu cette saison, au Théâtre des Champs-Elysées puis à l’Opéra de Montpellier (où il est accueilli en résidence) dans Jules César de Haendel.

On ressent chez vous depuis vos débuts un grand désir de liberté et d’indépendance. Pourquoi ?

Philippe Jaroussky : Parce que j’ai toujours eu conscience que j’étais musicien avant d’être contre-ténor. C’est quelque chose qui compte beaucoup pour moi. D’où le fait que dans mon académie on enseigne aussi le piano et le violon qui sont les instruments que j’ai beaucoup travaillés quand j’étais jeune.  Je me suis vite rendu compte que j’étais un contre-ténor un petit peu atypique. Cela toujours été difficile pour moi, notamment à l’opéra, d’être casté dans certains rôles. Il a fallu assez vite que je trouve mon propre répertoire, d’où la création de l’ensemble il y a 15 ans environ. Je me suis ainssi emparé de certaines partitions et j’ai proposé mes propres projets aux festivals et aux salles de concerts.

Avez-vous voulu émanciper la voix de contre-ténor ?

P.J. : On ne peut pas être un artiste si l’on ne prend pas de risques. Ma démarche a été de développer le répertoire des contre-ténors au-delà du baroque. Pourquoi pas ? Je me sens parfois plus à l’aise dans une mélodie de Fauré que dans un grand air écrit pour Farinelli. Je me suis souvent battu sur ces questions-là, quitte à provoquer des réactions épidermiques, comme par exemple lorsque j’ai commencé la mélodie française il y a 15 ans. Maintenant je vois beaucoup de contre-ténor qui chantent « A Chloris ». Je suis content de voir que durablement des contre-ténors s’approprient des répertoires de plus en plus variés. Et pourquoi pas la musique contemporaine ! Si j’ai pu contribuer à cette ouverture, j’en suis très content. Mais évidemment le baroque restera toujours mon cheval de bataille.

Cette ouverture se poursuivra en tant que chef…

P.J. : Certaines personnes sont étonnées de me voir diriger mon premier opéra cette saison. Mais c’est vrai que, même si je n’ai jamais dirigé physiquement mon ensemble, je le dirige artistiquement depuis le début il y a 15 ans.

La direction d’orchestre représente donc pour vous davantage une évolution qu’une révolution ?

P.J. : Oui. En fait, j’y ai toujours pensé, depuis que j’ai commencé à chanter. Diriger est pour moi une évolution presque naturelle.

« Diriger, avec ce sentiment de modeler en direct la matière musicale, a un côté très addictif. »

Cette aventure de chef va commencer dans le cadre d’une résidence à l’Opéra de Montpellier…

P.J. : J’ai beaucoup de chance. Je commence en étant jeune chef dans des conditions formidables puisque je vais diriger mon premier opéra au Théâtre des Champs-Élysées puis à l’Opéra de Montpellier avec cette production de Jules César. Tout ça est assez vertigineux pour moi. Ces débuts n’auraient pas pu avoir lieu sans le soutien de Valérie Chevalier, la directrice de l’Opéra de Montpellier, qui s’est battue pour maintenir mon premier projet de chef – sans lequel je ne me serai pas risqué à diriger un opéra –  il y a quelques mois dans un oratorio de Scarlatti. Nous n’avons pas pu jouer en public en raison de la situation sanitaire mais nous avons pu enregistrer. Je ne me serais pas vu diriger un opéra sans étape importante.  Je viens aussi d’enregistrer mon premier disque en tant que chef : il s’agira d’un récital Haendel avec Emőke Baráth, qui sortira dans quelques mois.

Pourriez-vous envisager de diriger d’autres orchestres que votre propre ensemble ?

P.J. : Il faut toujours se projeter. Mais je n’en sais rien. Jusqu’à présent, mon ensemble développait ses projets en auto-production. Maintenant qu’il va y avoir de plus gros projets, par exemple des opéras, nous sommes en pleine recherche de nouveaux financements et de partenaires. Mon pari en ce qui concerne mon avenir de chef d’un ensemble baroque, c’est aussi ce pari financier.

Un rêve en tant que chef ?

P.J. : Un de mes rêves presque cachés c’est de pallier en tant que chef une frustration que j’ai eue en tant que chanteur : aborder Mozart !  Alors pourquoi ne pas diriger du Mozart dans 10 ans ! Je ne me vois pas au-delà pour l’instant en termes de répertoires.

Qu’avez-vous ressenti en dirigeant cet oratorio de Scarlatti il y a quelques mois ?

P.J. : Je me suis senti terriblement bien et dans une énergie très différente de celle du chant. Je me suis découvert presque une nouvelle énergie. Le chant demande un centrage sur soi, un centrage énergétique vers quelque chose de très intérieur, presque zen parfois. En dirigeant, j’ai découvert une énergie beaucoup plus tonique. Il a fallu que je transmette mes idées physiquement. J’ai adoré respirer avec les chanteurs, donner des indications de détails aux musiciens. J’ai découvert ce plaisir d’un chef lorsque l’orchestre réagit à son geste. J’ai découvert à quel point c’est un cadeau que vous font les musiciens de vous suivre et d’être avec vous. Diriger, avec ce  sentiment de modeler en direct la matière musicale, a un côté très addictif. Et ce plaisir-là, j’ai hâte de le retrouver !

 

Propos recueillis par Jean Lukas

A propos de l'événement

Jules César de Haendel
du mercredi 11 mai 2022 au dimanche 22 mai 2022
Théâtre des Champs-Élysées
15 avenue Montaigne, 75008 Paris

mise en scène : Damiano Michieletto.

Avec l’ensemble Ensemble Artaserse et Gaëlle Arquez, Sabine Devieilhe (Paris) ou Emöke Barath (Montpellier), Franco Fagioli, Lucile Richardot...

Tél. : 01 49 52 50 50.

Et aussi : à l’Opéra de Montpellier. Du 5 au 11 juin. Tél. 04 67 60 19 99.

 

Et aussi : récital "Haendel Forever" avec Emőke Baráth (soprano), Ensemble Artaserse, et Philippe Jaroussky (direction).

Théâtre des Champs-Élysées, 15 avenue Montaigne, 75008 Paris. Vendredi 11 mars à 20h. Dans la série « Les Grandes Voix ». Tél. : 01 49 52 50 50.

A l’Opéra de Montpellier. Samedi 19 février à 19h. Tél. 04 67 60 19 99.

 

 

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