La Terrasse

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Classique / Opéra - Critique

Œdipe d’Enesco, où la généalogie mythologique selon Wajdi Mouawad à l’Opéra Bastille, direction musicale d’Ingo Metzmacher

Œdipe d’Enesco, où la généalogie mythologique selon Wajdi Mouawad à l’Opéra Bastille, direction musicale d’Ingo Metzmacher - Critique sortie Classique / Opéra Paris Opéra Bastille
© Elsa Haberer

OPERA MIS EN SCENE / OPERA NATIONAL DE PARIS

Publié le 24 septembre 2021 - N° 292

Wajdi Mouawad restitue l’acuité intemporelle et poétique du mythe d’Œdipe dans l’opéra d’Enesco, servi par un saisissant Christopher Maltman dans le rôle-titre et la direction magistrale d’Ingo Metzmacher.

Unique opéra d’Enesco, mûri pendant de longues années par le compositeur roumain, Oedipe avait disparu du répertoire de l’Opéra de Paris après sa création au Palais Garnier en 1936. Le livret d’Edmond Fleg adapte Sophocle –  Œdipe roi et Œdipe à Colonne.  A rebours des transpositions  opportunistes ou des réductions psychanalytiques, Wajdi Mouawad resitue le drame d’Œdipe dans une généalogie que résume un prologue déclamé en voix off, où le destin d’une lignée familiale se fait également récit mythologique du triangle méditerranéen Asie-Europe-Afrique, berceau de notre civilisation. Dans l’épure scénographique d’Emmanuel Clolus, faite de panneaux mobiles et de climats dramatiques distillés par les lumières d’Eric Champoux, les maquillages et créations capillaires de Cécile Kretschmar, évoquant entre autres la fertilité botanique, condensent une charge symbolique autour de laquelle s’articule la trajectoire d’Œdipe. Les célébrations de la naissance de l’enfant prennent des accents rituels où s’affirme une intelligence du traitement des foules, que l’on retrouvera dans la confrontation d’Œdipe face à son peuple, tant dans la liesse du triomphe que dans la violence de la chute.

 

Christopher Maltman, une incarnation magistrale d’Œdipe

 

Dans cette lecture à la fois narrative et poétique, qui s’attache à l’acuité intemporelle du mythe, Christopher Maltman se révèle saisissant de vérité dramatique dans l’écrasant rôle-titre. La carrure de la voix se conjugue à des qualités de déclamation que l’on retrouve dans le sévère Grand-Prêtre à la coiffe en forme de flamme de Laurent Naouri, ou encore chez le Laïos de Yann Beuron, fébrile comme le berger de Vincent Ordonneau. La chaleur inquiète de la Jocaste d’Ekaterina Gubanova contraste avec la diaphane Antigone d’Anna-Sophie Neher, et le raffinement dans la diction d’Anne Sofie von Otter en Mérope, aussi reconnaissable que l’onctuosité de Nicolas Cavallier dans les interventions de Phorbas et du veilleur. Clémentine Margaine ne ménage pas la vigueur éclatante d’une picturale Sphinge en robe noire baignant dans la glaise de ses cadavres. Clive Bayley endosse avec un à-propos émérite la clairvoyance de Tirésias. Brian Mulligan résume la vindicte de Créon. Adrian Timpau se révèle un solide Thésée. Dans la fosse, Ingo Metzmacher fait respirer les scansions de la partition, et chatoyer les couleurs et les textures d’une écriture orchestrale riche dans les graves, incluant entre autres plusieurs solos de contrebasson, sans jamais perdre de vue l’architecture de l’ouvrage. Justice est rendue à Œdipe et Enesco.

 

Gilles Charlassier

A propos de l'événement

du jeudi 23 septembre 2021 au jeudi 14 octobre 2021
Opéra Bastille
Opéra Bastille, Place de la Bastille, 75012 Paris

À 19h30. Tél. 0892 89 90 90. Durée : 3h10.

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