Un théâtre de l’instant présent
>« Un homme arrive avec une femme. Ensemble ils essaient de se construire une petite vie »… Voilà esquissée, à traits concis, la fable universelle des tourments et des joies de l’existence. Car ces deux ne possèdent que les gestes mais pas les choses. Aux prises avec la froidure de l’hiver et la pauvreté, ils s’inventent un quotidien d’imaginaire. Dans L’hiver, quatre chiens mordent mes pieds et mes mains, Philippe Dorin raconte les saisons de la vie, les chuchotements du temps. Qu’il fait et qui passe.
Vous écrivez autant pour les enfants que pour les plus grands.
Les enfants ont façonné la singularité de mon écriture : j’aime utiliser des mots simples, des situations concrètes, qu’ils peuvent aisément saisir même s’ils ne comprennent pas tout. Cette part d’inconnu est aussi ce qui excite leur curiosité et les fait grandir. Et puis, je viens de la campagne… On a l’habitude d’appeler les choses par leur nom. Je m’inspire aussi de la structure des contes, tramés sur une fable sommaire, mais porteurs d’une multiplicité de sens.
Ce dépouillement de la langue, le regard souvent étonné, presque naïf que portent les personnages sur les situations, évoquent cependant des questions existentielles, mine de rien, avec humour.
Au détour de la conversation surgissent en effet des réflexions sur l’existence, mais sans préméditation. Des paroles échappent aux personnages. Je suis le premier surpris. Je n’ébauche qu’un vague canevas avant de commencer. En revanche, j’écris pour des comédiens, pour un metteur en scène. La pièce se nourrit de mes conversations avec eux. Je compose donc avec ces éléments. A chaque spectateur ensuite de bâtir son histoire avec les mots et l’espace entre les mots.
« Le théâtre s’invente comme un jeu d’enfant : « on dirait que… »
Le texte interpelle souvent l’auteur et questionne le processus d’écriture.
Face au cinéma et à la télévision, le théâtre ne peut rivaliser dans le réalisme. Il doit utiliser ses propres moyens : le pouvoir du verbe, des corps, de l’illusion sur la scène. Il s’invente comme un jeu d’enfant : « on dirait que… »
Durant la pièce, les personnages font d’ailleurs « semblant » de manger, boire, etc.
Ces séquences jouent sur la stylisation des gestes et suggèrent la pauvreté de cette famille sans toit. L’économie du texte appelle un important travail scénique qui viendra lui donner tout son sens. On peut alors évoquer des réalités sociales difficiles ou des préoccupations métaphysiques sans être démonstratif.
Le thème de la famille revient souvent sous votre plume.
Je ne peux pas échapper à la mienne, qui, depuis des siècles, est restée implantée sur le même terroir. Sans drame, ni séparation douloureuse. J’aime la fratrie, même si je ne sais pas la vivre au quotidien.
Comment avez-vous travaillé avec la compagnie Pour ainsi dire ?
Nous sommes partis d’installations réalisées dans la nature par Sylviane Fortuny, metteur en scène, Violaine Burgard, éclairagiste, et Sabine Siegwalt, costumière : l’une en hiver, dans le col du Lautaret, une autre au printemps, dans les carrières d’ocre du Roussillon, une troisième en été dans la ville de Marseille. Ces expériences ont rejailli sur l’écriture. Les comédiens, Jean-Louis Fayolle, Mireille Franchino, Elena Taraimovitch-Le Gal et deux enfants, ont des parcours très différents. Les personnages sont des solitudes qui se percutent, se rencontrent parfois, des êtres qui passent, s’arrêtent quelques temps et tentent de construire un bout de vie. C’est un théâtre de l’instant présent.
Entretien réalisé par Gwénola David
L’hiver, quatre chiens mordent mes pieds et mes mains, de Philippe Dorin, mise en scène de Sylviane Fortuny, du 12 au 29 février 2008, au Théâtre de l’Est Parisien, 159 avenue Gambetta, 75020 Paris. Rens. 01 43 64 80 80 et
www.theatre-estparisien.net. Le texte sera publié par L’Ecole de loisirs.