La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2011 Entretien / Jean-Michel Djian

Penser ensemble création et civilisation

Penser ensemble création et civilisation - Critique sortie Avignon / 2011
Légende : « Le journaliste et auteur Jean-Michel Djian.»

Publié le 10 juillet 2011

Journaliste et directeur du Master Coopération artistique internationale à Paris 8, Jean-Michel Djian est l’auteur de Politique culturelle : la fin d’un mythe et de 21 juin, le sacre musical des Français. Il s’attache à repenser la politique culturelle comme une marque de fabrique « civilisationnelle ».

Comment en est-on arrivé à supprimer toute différenciation conceptuelle entre une politique culturelle de droite ou de gauche ?
J-M Djian : Voilà près d’un quart de siècle que la France est orpheline d’une politique culturelle, depuis que la Gauche, porteuse d’ambition dans ce domaine, décide au milieu des années 80 de légitimer l’économie de la culture. C’est-à-dire d’affranchir l’art de la tutelle publique pour, au nom d’une modernité mondialisée, l’installer là où l’art et le divertissement font bon ménage : le marché. Le meilleur symbole de cette nouvelle réalité ? La création de la « Cinq » confiée à Berlusconi par François Mitterrand et, dans la foulée, le soutien politique et le financement public d’Eurodisney à Marne-la-Vallée sous les auspices de Laurent Fabius, Premier Ministre. S’ajoute toute une série d’initiatives publiques, conjoncturellement pertinentes, mais qui vise d’abord à célébrer les vertus de l’industrie culturelle, du mécénat ou encore de l’emploi culturel. Dès lors la notion de politique culturelle, jusqu’alors associée à une certaine conception humaniste de la place et du rôle de l’art dans la société, perd tout son sens. Pire, le peu qu’il en reste rejoint la logique libérale d’une droite longtemps complexée par son absence d’audace en la matière mais qui, du coup, voit dans cette évolution spectaculaire des socialistes une belle occasion de faire cause commune avec des intellectuels et des artistes dits de gauche. La dé-idéologisation de la culture a paradoxalement permis de la « consensualiser ». Non pas que la gauche ait à rougir de ce qu’elle entreprend lorsqu’elle est au pouvoir, loin de là, (prix unique du Livre, Grands Travaux, reconnaissance et soutien au rock ou au jazz …) mais le délitement idéologique du concept de culture fait que la politique qui lui est désormais associée perd en efficacité comme en crédibilité. Sur quels critères aujourd’hui différencier la politique culturelle de Bordeaux (UMP) de celle de Montpellier (PS) ? Nous en sommes là.
 
« Le délitement idéologique du concept de culture fait que la politique qui lui est désormais associée perd en efficacité comme en crédibilité. »
 
Peut-on redonner à la politique culturelle une marque de fabrique « civilisationnelle », comme vous l’espérez ?
J-M Djian : Il faut que les intellectuels et les artistes se réapproprient préalablement les territoires de l’art et de la création, c’est-à-dire qu’ils s’affranchissent eux-mêmes du pouvoir d’influence et de conditionnement de l’État, de la puissance publique. Nous sommes arrivés au bout d’une logique technocratique qui, au nom de critères de rentabilité, de résultats voire de sécurité publique, étouffe toutes initiatives citoyennes.Il faut que les partis politiques de droite comme de gauche réinvestissent le champ artistique par le seul prisme de l’exigence démocratique. Quel bilan la Vème République peut-elle faire de ses politiques culturelles eu égard à son ambition pour la nation ? Pour qui fait-on œuvre d’art ? Dans quel dessein ? Quel prix faut-il payer pour élever la conscience culturelle d’une nation? Qui est artiste ? Quel pouvoir doit-il prendre ? Pourquoi ? Comment ? Autant de questions qu’il est nécessaire de poser sans tabous pour faire œuvre de politique dans ce domaine.
 
Selon vous, l’ensemble des états démocratiques de la planète doit-il s’interroger, via l’Unesco, sur ce que signifie protéger la diversité culturelle et les identités ?
J-M Djian : Il est aujourd’hui impensable que, face aux multiculturalismes, aux intégrismes ou aux fanatismes religieux, la culture ne soit pas au centre d’un débat politique transnational. Il faut que l’éducation et la culture soient ensemble pensés, quitte à les distinguer ensuite dans leur mise en œuvre. La succession d’échecs des politiques d’éducation artistique nous interroge sur les finalités d’une politique culturelle qui ne ferait aucun cas des processus d’acquisition du sensible dans la formation des jeunes. L’éducation artistique à l’école est le préalable d’une politique culturelle digne de ce nom.
 
Faut-il inviter les professionnels de l’audiovisuel à faire cause commune avec ceux de la culture ?
J-M Djian : Et réciproquement. De leur complicité et leur envie de travailler ensemble doit naître une certaine idée du public, qu’il soit téléspectateur, auditeur, abonné de Scène nationale et d’opéra, ou usager de bibliothèques. Arrêtons de convoquer ensemble « Communication » et « Culture » au banc gouvernemental : une telle décision récurrente d’affichage montre à quel point le pouvoir politique s’est éloigné de leur sens même. L’heure est plutôt venue de penser ensemble création et civilisation. C’est-à-dire d’imaginer de domestiquer les outils technologiques au seul profit d’une exigence culturelle et artistique qui participe au seul bien commun. De cette invitation à dépasser la réalité pour penser la culture et son rapport avec la puissance publique naîtra, à droite et/ou à gauche, une nouvelle politique culturelle. Pas avant.
 
Propos recueillis par Véronique Hotte


Publications : Politique culturelle : la fin d’un mythe, Gallimard, 2005  21 juin, le sacre musical des Français, Seuil, 2011.

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