La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Othello

Othello - Critique sortie Théâtre
Mention photo : François Berthon Légende photo un Othello campé avec une force incroyable par Babacar M’Baye Fall

Publié le 10 novembre 2007

Gilles Bouillon s’empare des tourments de la perversité en un Othello magnifiquement retraduit par André Markowicz et subtilement interprété par une troupe à la belle cohérence dramatique.

Plus noire que la peau d’Othello, l’âme perfide et retorse de Iago jouit en mante pernicieuse de chaque coup porté à la vertu. Dans la nuit du tombeau que le Maure trop naïf croit le mausolée de son honneur alors qu’il est l’autel de sa perte, triomphe la haine de ce soudard luciférien, qui choisit comme le diable de diviser faute d’avoir été préféré. Iago tisse les filets de sa vengeance autour de Cassio, de Desdémone et d’Othello et fait feu de tout bois, en stratège virtuose, pour pousser la grandeur au précipice de l’ignoble. Si Shakespeare titre sa pièce du nom de la marionnette meurtrière dont l’esprit est peu à peu contaminé par le poison des mots de Iago, c’est à ce dernier qu’il offre les clefs du discours et de l’intrigue et Gilles Bouillon le suggère adroitement en installant à jardin une petite table pour ce metteur en scène de l’horreur qu’incarne Christophe Brault avec un talent et une intelligence interprétative remarquables de précision, de finesse et de subtilité. Son Iago évite les pièges de la caricature et progresse dans le mal en s’asséchant, consumé de l’intérieur par le brasier du ressentiment qui le dévore en même temps qu’il le nourrit. Franchement drôle, presque attendrissant parfois comme un enfant qui en ferait trop, Brault réussit à incarner le paradoxe moral qui rend si mystérieuse la figure du mal : infiniment pitoyable et effroyablement détestable.
 
Parfait équilibre des dérèglements
 
Face à ce génie infernal, se dressent la pureté d’une Desdémone qui emprunte à l’enfance sa fraîcheur et sa grâce (très intense et très juste Emmanuelle Wion), une Emilia souveraine en complice abusée (Alice Benoit, formidable d’élégance et de densité humaine) et un Othello campé avec une force incroyable par Babacar M’Baye Fall, qui se débat sous le faix de la nécessité et de la tragédie en réussissant à balancer dans son jeu la double figure du bourreau et de la victime, insupportablement aveugle et cruellement aveuglée. Sur le vaste plateau incliné comme la pente inexorable des égarements, les comédiens vont à l’essentiel : il suffit d’un mouchoir, d’un oreiller et d’un poignard pour dresser le décor de cette « leçon de ténèbres » qu’assène magistralement Gilles Bouillon, puisque ce sont les mots qui y créent, y font et y défont tout. Belle leçon de théâtre, en somme, que cette traversée en apnée des ravages atrabilaires du fantasme et de l’illusion !
 
Catherine Robert


Othello, de William Shakespeare ; mise en scène de Gilles Bouillon. Du 13 novembre au 16 décembre 2007. Du mardi au samedi à 20h ; le dimanche à 16h. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris. Réservations au 01 43 28 36 36. Pièce vue au CDR de Tours

A propos de l'événement


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