La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Oskaras Korsunovas

Oskaras Korsunovas - Critique sortie Théâtre
photo: Oskaras Korsunovas

Publié le 10 novembre 2007

La scène comme point de départ vers l’imagination des spectateurs

Pour Oskaras Korsunovas, figure emblématique de la scène lituanienne, un art dramatique qui n’a lieu que sur le plateau est un art dramatique mort, qui se nie lui-même. Invité par le Théâtre de la Commune et la Comédie-Française, le jeune metteur en scène présente Dans le rôle de la victime et La Mégère apprivoisée.

Le Maître et Marguerite, Visage de feu, Œdipe roi… Quel lien invisible se dessine-t-il entre les pièces que vous choisissez de mettre en scène ?

Oskaras Korsunovas
: Le fil conducteur qui, de manière étrange et assez inattendue, lie toutes ces pièces, c’est ma vie, ma mémoire, mes propres expériences. On peut dire que chaque spectacle, en quelque sorte, provoque le spectacle suivant. Par exemple, c’est l’écriture de Marius von Mayenburg qui m’a donné envie de mettre en scène Roméo et Juliette, Sophocle qui m’a permis de comprendre que les œuvres de Sarah Kane sont des tragédies contemporaines. Dans mon théâtre, les pièces contemporaines sont souvent mises en relation avec des pièces classiques. Car j’essaie de mettre en scène les classiques de façon contemporaine et les pièces contemporaines comme des classiques.
 
Quelle est la pièce qui vous a mené jusqu’à Dans le rôle de la victime ?

O. K.
: C’est Hamlet, de façon assez évidente puisque Valya, le personnage principal de la pièce, est une sorte de Hamlet contemporain, un jeune homme dont le métier est de prendre la place du mort lors des reconstitutions criminelles de la police. Il s’agit d’un personnage qui, comme Hamlet, est déçu moralement par le monde de ses parents. Sa mère est au centre de cette désillusion. Dans le rôle de la victime dépeint une sorte d’isolement qui semble inhérent au monde contemporain. Tout au long de la pièce, le rapport à la mort évolue vers une forme d’apprivoisement. Comme Hamlet, Valya ne pourra véritablement vivre, agir, résoudre le conflit qui l’oppose à son entourage, qu’après avoir vaincu sa peur de la mort.
 
Il s’agit également d’un texte faisant preuve de beaucoup de dérision…
O. K. : Si l’on regarde le monde de ce point de vue, tout devient dérisoire, tout paraît absurde et vain. Il ne reste plus alors que deux solutions pour continuer à vivre : prétendre être fou, comme le fait Hamlet, ou jouer le mort, prendre la place des cadavres, comme le fait Valya.
 
« Prétendre être soi-même dans la vie est une utopie totale. »
 
Est-ce une façon de dire que Valya ne peut être lui-même qu’en jouant le mort ?

O. K.
: Oui, et c’est une figure très juste des frères Presniakov. Prétendre être soi-même dans la vie est une utopie totale. Il est impossible d’échapper aux rôles que la société nous attribue. Je crois que seul l’art permet cela. Si l’on devenait soi-même dans la vie, on deviendrait dangereux et inutile. Dans l’art c’est exactement le contraire, si l’on n’est pas soi-même, alors on crée des œuvres inutiles. C’est peut-être ce que Sarah Kane voulait dire lorsqu’elle déclarait qu’elle essayait d’être la plus sincère possible. Elle a exprimé cette sincérité à travers le théâtre, ou même en agissant comme elle l’a fait [ndlr : Sarah Kane s’est donné la mort en 1999].
 
Quel sens souhaitez-vous donner à votre travail de mise en scène ?

O. K.
: Pour moi, le théâtre et l’espace du théâtre ne se résument pas aux 20 ou 30 m2 de la scène. L’espace théâtral dans lequel le théâtre a réellement lieu est l’imaginaire du public. Je veux dire que si le théâtre a uniquement lieu sur le plateau, c’est un théâtre mort, qui se nie lui-même. La scène n’est qu’un point de départ sur lequel on doit prend son élan pour se projeter dans l’imagination du spectateur et ainsi le transformer en créateur. Car, finalement, celui qui crée, c’est lui. De ce point de vue, je trouve très intéressant de travailler sur La Mégère apprivoisée. Car cette pièce n’est pas l’histoire toute simple de l’apprivoisement d’une mégère. A travers son prologue, Shakespeare parle d’un théâtre qui va au-delà des limites de la réalité, qui se joue puis oublie qu’il est théâtre pour rejoindre le monde sans repères de l’imaginaire, un monde dans lequel il n’y a plus de conditionnel, plus de relatif. C’est peut-être ce à quoi Artaud faisait référence lorsqu’il parlait du théâtre comme rêve. Dans un rêve, le rêveur n’existe pas, il est en dehors du monde qu’il construit. De la même façon, le théâtre doit faire mourir, dans le spectateur, l’être qui a conscience d’être un spectateur. Et le seul moyen de le faire, c’est de se transporter dans son imaginaire. Le spectateur s’oublie alors lui-même. C’est à ce moment-là que peut avoir lieu le miracle du théâtre.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat (traduction Akvile Melkunaite)


 
Dans le rôle de la victime [Playing the victim](spectacle en lituanien, surtitré), de Oleg et Vladimir Presniakov ; mise en scène de Oskaras Korsunovas. Les 9, 10 et 13 novembre 2007 à 20h30, le 11 novembre à 16h00, le 14 novembre à 19h30. Théâtre de la Commune, Centre dramatique national d’Aubervilliers, 2, rue Edouard Poisson, 93300 Aubervilliers. Réservations au 01 48 33 16 16.
En tournée les 21 et 22 novembre à La Comédie de Reims (cf. le dossier sur le Centre dramatique national de Reims, dans ce même numéro), les 27 et 28 novembre à L’apostrophe, Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise, les 30 novembre et 1er décembre au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, Scène nationale.
 

La Mégère apprivoisée, de William Shakespeare ; mise en scène de Oskaras Korsunovas. Du 8 décembre 2007 à juillet 2008. Comédie-Française, Salle Richelieu, place Colette, 75001 Paris. Réservations, informations et horaires au 0825 10 16 80 (0,15 € TTC la minute) ou sur www.comedie-francaise.fr

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