Sur les cendres en avant
Elles sont quatre, solitudes égarées dans le [...]
Trois hommes, deux femmes, une situation d’adultère. Marie-José Malis revient à On ne sait comment, œuvre qu’elle avait une première fois mise en scène en 2011. Un spectacle pointilleux, exigeant, qui se détache du naturalisme pour explorer, en la dépliant, la pièce de Luigi Pirandello.
Il n’est pas question, ici, de survoler les choses. De s’en tenir aux anecdotes. Aux couches superficielles des êtres. Des situations. Des questionnements. De brosser à grands traits les sinuosités de l’œuvre de Luigi Pirandello. Fidèle au théâtre entier et exigeant qu’elle explore depuis une vingtaine d’années, la metteure en scène Marie-José Malis crée une nouvelle version d’On ne sait comment qui pourra, comme la plupart de ses spectacles, laisser perplexe une partie du public. Et qui en nourrira d’autres, mises en mouvement par cette manière rigoureuse de se plonger dans le texte, millimètre par millimètre, sans jamais céder à la facilité d’un quelconque procédé de généralisation, ou de raccourci. Par cette manière de déplier la pièce, en quelque sorte. D’en éclairer les strates, avec précision, toutes les formes de profondeur. On pourrait dire des tas de choses de cette façon de mettre en vie le théâtre par la pensée, la pensée par le théâtre. Notamment – en y regardant de trop loin, et trop rapidement – que la lenteur, l’impression d’étirement parfois incommodante, l’apparente sous-théâtralité qui en ressortent (jeu essentiellement antinaturaliste, esthétique brute), sont le fruit d’une radicalité confinant à l’autisme, d’un formalisme agressif et sans concession. Ce serait ne pas voir l’une des composantes fondamentales du travail de la directrice du Centre dramatique national d’Aubervilliers : la relation au public, l’adresse permanente faite aux spectateurs.
L’expérience de la pensée
Inclus dans un espace de représentation comprenant scène et gradin (la création lumière de Jessy Ducatillon, jouant de contrastes et de variations très subtils, englobe l’ensemble de la salle), le public apparaît davantage comme un partenaire de jeu, un complice auquel les comédiens proposent l’expérience de la pensée, que comme un auditoire ou une assistance. Dans On ne sait comment, ce sont Pascal Batigne, Sylvia Etcheto, Olivier Horeau, Victor Ponomarev et Sandrine Rommel qui vont et viennent du plateau aux marches bordant le gradin. Ils nous regardent autant qu’ils se regardent les uns les autres. Nous parlent et nous questionnent de la même façon, creusant avec nous les divers aspects de la pièce écrite, en 1934, par Pirandello. Ce pourrait être une tragi-comédie bourgeoise. Un imbroglio amoureux sur fond d’adultère. Vibrionnant et divertissant. Agrémentée, ici et là, d’airs de J. S. Bach, d’Arvo Pärt, d’extraits de la bande-originale des Onze Fioretti de François d’Assise, de Roberto Rossellini, la mise en scène de Marie-José Malis nous oriente autre part : vers une longue réflexion sur la réalité, la vérité, la culpabilité, la responsabilité. Une réflexion âpre et consistante qui ne va pas sans longueurs. Sans moments de lassitude. Et d’épuisement. C’est le prix à payer pour participer à ce parcours de théâtre ambitieux qui, sous des allures de rudesse, déploie d’étranges lueurs de raffinement.
Manuel Piolat Soleymat
Du mardi au vendredi à 19h30, le samedi à 18h, le dimanche à 16h. Durée de la représentation : 3h sans entracte. Tél. : 01 48 33 16 16. www.theatredelacommune.com.
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