Illusions
Le metteur en scène d’origine bulgare Galin [...]
Plus de quarante ans après l’avoir créée, Jean-Michel Ribes réinvente une rêverie théâtrale et musicale évoquant la vie de trois dadaïstes flamboyants : Jacques Vaché, Arthur Cravan et Jacques Rigaut. Une proposition inégale.
Leur vie fut courte. Leurs œuvres encore plus. Ils vécurent au carrefour de deux siècles, connurent la Grande Guerre, et ne se rencontrèrent jamais. Jean-Michel Ribes, directeur du Théâtre du Rond-Point, l’un des lieux les plus vivants de la vie théâtrale parisienne, leur avait déjà rendu hommage à travers un spectacle voici plus de quarante ans. Aujourd’hui, en notre temps déboussolé et peu enclin à la fantaisie, il réinvente une nouvelle évocation théâtrale et musicale célébrant la vie et l’œuvre confondues de Jacques Vaché, Arthur Cravan et Jacques Rigaut. « Leur vie a été une courageuse, une brillante, une inventive et oxygénante résistance contre la tyrannie des certitudes », confie-t-il dans nos colonnes (La Terrasse n° 241). A travers leur insolence et leur liberté de penser, c’est aussi celles des journalistes de Charlie Hebdo lâchement assassinés qu’il salue. Inventeur de « l’umour sans “h“ », Jacques Vaché, qu’André Breton admirait profondément, est mort d’une surdose d’opium. « Prince du néant », « raté-étalon, », « PDG de l’AGS, Agence générale du suicide », et cependant titillé par le luxe, qui peut « prolonger sa vie d’un quart d’heure », Jacques Rigaut se tira une balle dans le cœur. Géant, déserteur, boxeur, poète déblayeur, époux de la poétesse Mina Loy – « Je la respecte avec la timidité des girafes pour la lune » dit-il – , Arthur Cravan disparut dans le Golfe du Mexique à bord d’une barque qu’il avait empruntée.
Clowns désespérés
Le spectacle traverse cinq tableaux thématiques : La guerre, L’amour, L’art (le plus réjouissant), L’ennui, La mort. Puis un final émouvant qui élargit l’horizon. Inégal, l’ensemble ne parvient pas à éviter certains clichés et certaines pesanteurs, par exemple lors des scènes musicales avec les trois girls de music-hall (Sophie Lenoir, Alexie Ribes et Aurore Ugolin) : lorsque l’une ou l’autre incarnent un personnage et quittent alors un rôle figuratif, le jeu gagne en épaisseur. La scénographie de Sophie Perez, qui évoque notamment le cabaret, les révolutions artistiques du vingtième siècle et le bousculement des normes, n’est pas aisée à s’approprier pour les acteurs. C’est donc le texte même et ses piques ravageuses ainsi que le jeu excellent des trois comédiens qui ravivent le spectacle. Clowns étincelants et désespérés, vêtus de fracs de satin blanc aux revers pailletés, les trois dandys clament avec désinvolture leurs excès et leur détestation de l’art et de l’esprit de sérieux. Avec aussi Stéphane Roger dans des rôles secondaires, Michel Fau, comédien d’exception, (Arthur Cravan), Maxime d’Aboville (Jacques Vaché) et Hervé Lassïnce (Jacques Rigaut) forment un trio de choc.
Agnès Santi
Du 15 mars au 24 avril 2016 à 20h30. Les dimanches à 15h. Relâche les lundis. Tél. : 01 44 95 98 21. Texte publié aux Editions Actes Sud – Papiers. Durée : 1h30.