L’Homme en bois
Le jongleur allemand Malte Peter délaisse [...]
Robert Wilson contreplaque son esthétique sur le chef-d’œuvre de Beckett.
Quelle triste soirée cela aura été… Voir Adriana Asti, silhouette fantoche fardée à outrance, juchée au pic d’une sombre roche brisée, la voir s’enfoncer dans les mots de Beckett, les quérir, les brusquer, les perdre souvent. Oh les beaux jours, pièce magistralement créée à l’Odéon par Madeleine Renaud au Théâtre de l’Odéon en 1963 dans la mise en scène de Roger Blin, au point de fonder le mythe, est redoutable épreuve. Ferrée jusqu’à la taille dans un monticule, la Winnie de Beckett dévide son babillage, des mots de rien, bribes de souvenirs, quelques traits lancés à Willie, son mari, une présence furtive qui rôde. Elle tue le temps, laisse serpenter le flot de la parole, soudain trouée de longs silences. Alors elle fouille dans son sac à main, extirpe les menus accessoires de son intimité : une brosse à dent, un revolver, un peigne… autant de lambeaux arrachés au naufrage du drame théâtral. Elle trompe l’attente en pressurant les rituels quotidiens pour en extraire la moindre larme de vie, avec obstination. Ainsi s’égrène la litanie des jours qui s’enfoncent lentement vers le néant. Ces phrases hachées, dérisoires, ponctués de gestes tout aussi dérisoires : cela n’a l’air de rien, cela pourrait n’être rien. C’est toute l’humaine condition.
Production en série
Encore faut-il que la mise en scène laisse entendre « ce mouvement de la fin qui n’en finit pas. » selon l’expression de Maurice Blanchot. Robert Wilson, encore une fois, contreplaque son esthétique : lumières impeccablement dessinées, lignes tranchantes, aplats colorés, gestique stylisée, clairs-obscurs et contre-jours étudiés. C’est qu’il a fondé une véritable fabrique à spectacles dans son antre du Watermill Center, près de New-York : un atelier aux ramifications planétaires, qui réunit autour du maître d’œuvre un aréopage d’assistants, dramaturge, costumier, musicien, scénographe, éclairagiste, etc.. L’italienne Adriana Asti, comédienne admirable chez Visconti, Strehler et Ronconi, a beau chercher l’extravagance désespérée, elle finit par sur-jouer, sans donner vie à l’image qui l’enserre, ni aux ritournelles de l’écriture. Quant à Giovanni Battista Storti (Willie), qu’il matte vulgairement l’avantageuse poitrine d’une bimbo dorée, grogne ou éructe, il sonne tout faux. « La perte du corps, c’est le triomphe de la parole » écrivait l’essayiste Ludovic Janvier. Ici, on perd les deux.