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Théâtre - Critique

Notre Classe de Tadeusz Slobodzianek, mis en scène par Justine Wojtyniak

Notre Classe de Tadeusz Slobodzianek, mis en scène par Justine Wojtyniak - Critique sortie Théâtre Suresnes Théâtre de Suresnes Jean Vilar
© Ania Winkler Notre Classe, une fresque en forme de poème choral.

Reprise / de Tadeusz Slobodzianek / mes Justine Wojtyniak

Publié le 28 février 2019 - N° 274

Justine Wojtyniak et son équipe déploient un poème choral cruel et émouvant qui convoque la mémoire juive polonaise. Un monde anéanti qui rappelle à chacun de nous la fragilité de nos communautés humaines.

Un village de Pologne semblable à une infinité d’autres. Tel Jedwabne, où en 1941 environ 1500 juifs furent brûlés vifs dans une grange par leurs voisins catholiques. Pendant quelque soixante ans, le massacre fut attribué aux soldats allemands par l’histoire officielle, comme le stipula une stèle érigée sous le régime communiste. Notre Classe (2009) de l’auteur polonais Tadeusz Slobodzianek s’inspire des récits d’investigation et travaux des historiens et journalistes Jann T. Gross et Ana Bikont, de témoignages recueillis dans les années 2000, et d’une photo de classe du village. Autant d’éléments qui firent émerger péniblement la vérité des faits de cette époque. Interprétée et primée dans divers pays mais encore jamais montée en France, la pièce évoque le parcours de dix camarades de classe juifs et catholiques, depuis l’enfance sur les bancs de l’école au début des années 1930 jusqu’aux années 2000. Ce qui intéresse l’auteur Tadeusz Slobodzianek, c’est surtout le basculement de la communauté dans l’horreur, les conditions qui rendent possible les mécanismes de haine et le déploiement de la tragédie. Jeune metteure en scène polonaise installée en France, Justine Wojtyniak a elle-même grandi dans une petite ville de l’Est de la Pologne, où n’existe plus aucune trace des juifs qui y vivaient avant la Shoah. A travers cette mise en scène, elle a voulu apaiser la blessure du silence, faire acte de réparation contre l’effacement de la mémoire juive polonaise.

Au cœur de l’humain

Lors de la poignante scène inaugurale, c’est sa voix même qui égrène plusieurs fois les noms, dates de naissance et mort des dix protagonistes. Ils sont tous là, sur le plateau, et chacun à sa manière s’accroche et se relie au passé, à de vieux vêtements disparates suspendus à des cintres. Autant de fantômes disparus, de souvenirs perdus, de présences signifiant l’absence béante des disparus. Ils sont dix : des copains de classe, des destins différents où certains meurent sous les coups des autres. Le texte comme la mise en scène ne proposent pas une restitution théâtrale confortable fondée sur un éclairage chronologique, mais interrogent l’expression de la folie meurtrière. Quelle sorte de concours de circonstances peut donc mener à une telle violence ? Nourrie de l’héritage de Tadeusz Kantor, Justine Wojtyniak choisit une forme onirique où l’importance du contexte historique se met en retrait par rapport à l’expression des relations sociales et intimes, relations perverties et assujetties à la violence idéologique – celle notamment d’un antisémitisme tenace encouragé par l’Eglise. Le spectacle déploie un poème choral et musical, une forme d’oratorio tragique qui unit les victimes et les bourreaux dans l’horreur funeste. Sans dichotomie facile entre le bien et le mal, parfois même de manière plus dérangeante qu’édifiante. Avec une volonté et un engagement impressionnants, la metteure en scène et son équipe s’attachent à raviver la mémoire pour faire communauté avec les morts. Et pour faire communauté avec les vivants, ici et maintenant, alors qu’en Pologne et dans toute l’Europe le populisme et le repli sur soi s’affirment. La pièce tonne comme une alerte et un appel à la fraternité.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Notre Classe de Tadeusz Slobodzianek, mis en scène par Justine Wojtyniak
du mardi 12 mars 2019 au vendredi 15 mars 2019
Théâtre de Suresnes Jean Vilar
16 Place Stalingrad, 92150 Surenes

à 21h. Tél : 01 46 97 98 10. Durée : 2h 10. Spectacle vu à l’Epée de Bois.

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