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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Nathalie Fillion crée « Sur le cœur, Fantasmagorie du siècle 21 » : une brillante et perspicace fantaisie poético-hospitalière

Nathalie Fillion crée « Sur le cœur, Fantasmagorie du siècle 21 » : une brillante et perspicace fantaisie poético-hospitalière - Critique sortie Théâtre Asnières-sur-Seine Le Studio - ESCA
Manon Kneusé et Damien Sobieraff dans Sur le cœur. © Nelly Blaya

Studio-Théâtre d’Asnières / texte et mise en scène de Nathalie Fillion

Publié le 22 mars 2024 - N° 319

Nathalie Fillion ausculte le monde d’après la déflagration #MeToo dans une fantaisie poético-hospitalière acérée et tendre, drôle et intelligente, impertinente et iconoclaste. Excellentissime !

Intitulée Les Mots pour le dire, l’autobiographie romancée de Marie Cardinal racontait, en pleine deuxième vague du féminisme, comment le corps des femmes peut devenir symptôme. #MeToo, trente ans après, reprend cette exigence de désignation dans une perspective psychologique (pour soigner les individus) et politique (pour réformer les rapports sociaux). Ces mouvements de dévoilement supposent que la réalité préexiste à la parole et que la seconde révèle la première. Mais les mots ne transcrivent pas seulement ce qui est : ils le créent. Ils donnent une consistance au réel en le représentant. Comment, alors, nommer au plus juste ? Le texte de Nathalie Fillion travaille cette question. Il ne suffit pas de dire les violences faites aux femmes : il s’agit de bien les nommer, sans excès, sans raccourci, sans haine, sans édulcorer non plus, sans cacher la poussière sous le tapis. La parole ne libère pas si elle n’est pas reprise par la réflexion politique : le théâtre, comme agora démocratique de l’élaboration collective du discours, le permet. Nathalie Fillion s’y emploie magistralement, avec autant d’humour (c’est-à-dire d’humilité) que d’intelligence, en disant toute la difficulté de trouver les mots pour dire, en ne cachant rien des incertitudes et des difficultés de cette entreprise, en avouant le désarroi qui peut saisir celui qui dit et celle qui écrit (en un désopilant duo entre Damien Sobieraff, sur scène, et l’autrice, depuis la salle). Sous l’aspect d’une fable de science-fiction, d’une comédie musicale légère à la Demy, Sur le cœur tient l’équilibre entre émotion et perspicacité anthropologique avec une acuité fascinante.

Cœur sur la main plutôt que main sur le cœur

Paris, 2027 : dans l’hôpital de La Salpêtrière, où Charcot mettait jadis en scène les symptômes de l’hystérie, mal où les corps éructent quand la parole est tarie, Nathalie Fillion installe une infirmerie nouvelle. L’unité de soin et de recherche post #MeToo est dirigée par la professeure Rose Spillerman, neuropsychiatre farfelue, flanquée de Mario, indéfectible assistant et chef de la chorale de l’hôpital. Le service accueille Iris, qui ne parle plus. Comment faire cesser cet assourdissant silence ? La musique et la danse sont les guides de cette odyssée au féminin, dont la boussole est le conseil de Jacques Lacan à une amie bègue : « si tu ne peux pas le dire, chante-le ». Ce protocole sanitaire original affirme son efficacité par la forme théâtrale choisie : humour et distanciation, dynamitage du quatrième mur, refus de la pesanteur du sérieux et jeu constant entre la lettre et l’esprit. Marieva Jaime-Cortez (Iris), Rafaela Jirkovsky (Marguerite), Manon Kneusé (Rose Spillerman), Damien Sobieraff (l’Ex, Mario l’assistant, Rémi l’orthophoniste) sont époustouflants d’aisance et de drôlerie. La chorégraphie de Jean-Marc Hoolbecq fait chanter les corps ; Nathalie Fillion envoie valser les poncifs et les frilosités, et choisit la légèreté pour dire le grave. Plutôt que ceux qui, sans vergogne, jurent, main sur le cœur, qu’ils ont réponse aux problèmes que posent les rapports entre les êtres, Nathalie Fillion propose de les interroger sincèrement, cœur sur la main. Ce théâtre est une alternative au bal des folles de la Salpêtrière : mieux que le bain glacé ou la flagellation chers au bon docteur Charcot, la mise en jeu des fantasmagories offre une scène cathartique facétieuse et fantasque à la dignité retrouvée. Le féminin, rendu à la fin à sa puissance créatrice, tend une main intelligente à tous les représentants de l’espèce ; le théâtre met l’humain en partage et le social en question. Brillant !

Catherine Robert

A propos de l'événement

Sur le cœur, Fantasmagorie du siècle 21
du jeudi 21 mars 2024 au dimanche 24 mars 2024
Le Studio - ESCA
3, rue Edmond-Fantin, 92600 Asnières-sur-Seine

Jeudi à 19h, vendredi à 20h, samedi à 18h et dimanche à 15h. Tél. : 01 47 90 95 33. Le 4 mai à 20h30 à l’Arsénic, à Gindou.

Du 3 au 21 juillet à 20h20 au Théâtre du Train Bleu, à Avignon (relâche les 8 et 15 juillet). Durée : 1h40.

 

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