Le « Phèdre »de Matthieu Cruciani arrive à Sceaux, une mise en scène magnifiée par la présence d’Hélène Viviès
Tournée / Les Gémeaux à Sceaux / texte Jean Racine / mise en scène Matthieu Cruciani
Publié le 16 février 2024 - N° 319Le metteur en scène Matthieu Cruciani fait résonner Phèdre entre les murs décatis d’un palais contemporain à l’abandon. Une distribution inégale ou la magnifique Hélène Viviès confère une force et une hauteur souveraines à la tragédie de Racine.
Écrite en 1677, dix ans après Andromaque (1967), sept ans après Bérénice (1670), trois ans après Iphigénie (1674), Phèdre est, comme toutes les tragédies de Jean Racine, l’occasion d’un face-à-face avec la beauté. La beauté du vers, d’abord, de l’alexandrin, qui donne son rythme et ses équilibres à une matière poétique étincelante. La beauté des destins qui s’expriment et se nouent en son sein, aussi, des trajectoires de vie qui avancent, tanguent, s’opposent et s’achèvent : ici, par noyade, par empoisonnement, ou sous les assauts furieux d’un monstre sorti du fond des flots. Cela, après que Phèdre (Hélène Viviès) a avoué l’amour qui l’enchaine à Hippolyte (Maurin Ollès), le fils de son époux Thésée (Thomas Gonzalez). Le jeune homme, lui, aime la princesse Aricie (Ambre Febvre). Son père, le roi d’Athènes, était porté disparu. Sa mort avait même été annoncée. On discutait, déjà, des modalités de sa succession. Mais son retour inattendu a rebattu les cartes à la fois de l’amour et de la politique. La confidente de Phèdre, Œnone (Lina Alsayed), a incriminé Hippolyte pour sauver l’honneur de la souveraine. La tragédie se referme alors sèchement sur elle-même, cruelle et implacable, après cinq actes d’éclatantes paroles et de funestes passions.
L’inceste et l’imposture
C’est aujourd’hui Matthieu Cruciani qui s’empare de ce tourbillon d’amours contrariées. Le metteur en scène cherche à donner à la pièce de Racine l’alliance du concret et de la clairvoyance qui parfois, c’est le risque de la versification, s’efface derrière une musicalité abstraite. Il n’y parvient qu’imparfaitement. La faute à une distribution inégale qui brouille et déséquilibre le savant maillage des émotions, des sensibilités et des affects. Dans les rôles d’Hippolyte et d’Aricie, Maurin Ollès et Ambre Febvre sont à la peine. Ils ne trouvent pas la vérité de leur personnage. A leurs côtés, Philippe Smith (formidable Théramène), Thomas Gonzalez et Jade Emmanuel (Ismène et Panope) nous ouvrent la porte du vivant. Habillés des beaux costumes de Pauline Kieffer, au sein d’une élégante scénographie de Nicolas Marie, la comédienne et les deux comédiens font vibrer les alexandrins. Mais sans l’impressionnante Hélène Viviès, cette représentation ne serait pas ce qu’elle est. La comédienne crée un chemin de tragédie qu’elle pare de toutes sortes de teintes, de nuances, de contrastes. On ne la quitte pas des yeux. On s’accroche à ses peines et ses colères. On se laisse emporter par ses affolements. Hélène Viviès dessine la vie et la mort d’une Phèdre impérieuse. Elle a la prestance et l’exigence d’une grande tragédienne.
Manuel Piolat Soleymat
A propos de l'événement
Phèdredu jeudi 7 mars 2024 au dimanche 17 mars 2024
Les Gémeaux
49 Av. Georges Clemenceau, 92330 Sceaux
Tél. : 01 46 61 36 67.
Spectacle vu à la Comédie de Colmar.
contact@lesgemeaux.com