La Terrasse

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Théâtre - Critique

Muriel Mayette-Holtz met en scène Love Letters d’A. R. Gurney avec Brigitte Fossey et Jean Sorel, et la magie du théâtre s’exprime

Muriel Mayette-Holtz met en scène Love Letters d’A. R. Gurney avec Brigitte Fossey et Jean Sorel, et la magie du théâtre s’exprime - Critique sortie Théâtre Nice Théâtre national de Nice - Les Franciscains
© Meghann Stanley Jean Sorel et Brigitte Fossey dans Love Letters

Les Franciscains – Théâtre national de Nice / texte de A. R. Gurney / traduction Alexia Péromony / mise en scène Muriel Mayette-Holtz

Publié le 18 mai 2023 - N° 310

Muriel Mayette-Holtz met en scène Love Letters (1989), partition épistolaire de l’auteur américain Albert Ramsdell Gurney, qui traverse toute une vie depuis l’enfance. Un grand moment de théâtre, avec Brigitte Fossey et Jean Sorel.

La magie du théâtre s’est exprimée à Nice, dans la très belle salle des Franciscains, alors même que c’est un sacré défi de mettre en scène un duo épistolaire, une parole couchée sur le papier – voici quelques années Anouk Aimée l’avait joué aux côtés de Philippe Noiret, Gérard Depardieu, Bruno Cremer, Jacques Weber et même Alain Delon. Le duo formé par Andy et Mélissa, deux vieux amis, deux âmes sœurs qui n’ont jamais vécu ensemble mais n’ont jamais cessé de s’écrire, est ici profondément vivant, profondément habité, dans un geste artistique de haute valeur, où la partition des comédiens Jean Sorel et Brigitte Fossey est très finement et élégamment accompagnée par la mise en scène de Muriel Mayette-Holtz. Sans effet de facilité ou penchant pour les bons sentiments, leur conversation de cinquante ans touche par sa vérité, son acuité, qui accordent au temps vécu tout son poids, qui laissent voir une matière humaine dense et intense, nourrie par les infinis contrastes de leurs psychologies. Taquineries de l’enfance, émois adolescents, puis espoirs et désenchantements de l’âge adulte, mariage et divorce, succès et échecs, courage et lâcheté, bonheur enfui… surtout pour elle. Depuis l’enfance jusqu’à l’heure du bilan lorsque la vie est derrière soi, nous assistons à la traversée d’une vie, et surtout à celle d’une relation de deux êtres qui se sont immédiatement aimés mais pourtant ont emprunté des chemins différents. Totalement offerts au regard du public, assis côte à côte, Andy et Mélissa lisent et s’écoutent, indéfectiblement liés.

La vérité au-delà de l’écriture

Devant eux sur un bureau de plexiglas, un paquet de lettres, que lui retourne avec application une fois qu’il les a terminées, tandis qu’elle les jette à terre. Ordre contre désordre, respect des conventions contre révolte impulsive, amour de l’écriture contre amour de la vie, c’est fou tout ce qu’un simple geste peut nous dire. Si Andy déclare son amour à l’écriture, Mélissa recherche une vraie rencontre, au-delà de ces « foutues lettres » et de la distance qu’elles maintiennent. Elle, Mélissa Gardner, est née dans une famille très riche, dysfonctionnelle ; elle est anticonformiste, passionnée, avide de liberté, elle sera artiste peintre et sa vie amoureuse sera tumultueuse. Brigitte Fossey l’interprète de manière extraordinaire : éruptive, entière, mue par un beau désir de vivre qui sera blessé, tristement abîmé. Lui, Andrew Ladd Junior, est né dans une famille moins riche quoique aisée, aux repères solides ; il étudiera à Yale, deviendra avocat avant de s’engager en politique, et de fonder une famille. Jean Sorel, belle prestance et belle voix, l’incarne parfaitement, de façon tenue, posée, parfois traversée d’espièglerie. Si leur échange touche autant, c’est parce que les mots limpides et explicites sont aussi nourris de complexité, de contradictions, questionnant de manière aiguë ce que signifie le libre-arbitre, ce que signifie vivre. En fond de scène, un vaste écran ne s’anime que discrètement, en échos lumineux aux « Joyeux Noël » qui rythment le passage des ans. À la fin apparaissent des photos émouvantes de Jean Sorel et Brigitte Fossey, depuis l’enfance (on reconnaît aisément la merveilleuse petite fille blonde, à l’écran dès ses 6 ans dans Jeux interdits). Alors que l’art et la manière de s’écrire se sont transformés et appauvris, la puissance des mots demeure, en particulier sur une scène de théâtre. « Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir ! L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir. » écrit Verlaine dans Fêtes galantes. Mais la pièce est en soi une manière de cueillir les roses de la vie… Un très beau moment de théâtre.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Love Letters
du mardi 16 mai 2023 au vendredi 19 mai 2023
Théâtre national de Nice - Les Franciscains
4-6 Place Saint-François, 06300 Nice

à 20h. Tél : 04 93 13 19 00. Durée : 1h30.

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