Joël Fesel et Solange Oswald reprennent La Mastication des morts (oratorio in progress) de Patrice Kermann
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Paul est comédien. Antillais. En raison de sa ressemblance frappante avec Mouammar Kadhafi, il est choisi pour l’incarner dans une pièce. C’est le personnage de Moi, Kadhafi, monologue mis en scène par Alain Timár et interprété par Serge Abatucci, d’après un texte de Véronique Kanor. Il explore avec justesse l’ambivalence de l’ingérence occidentale sur les sociétés antillaises et africaines.
Assis dans un coin de l’espace offert par l’étroite chapelle du Théâtre des Halles, Paul commence par expliquer comment lui, « avec sa gueule de nègre de la Caraïbe », s’est retrouvé à jouer Kadhafi. D’abord, c’est parce qu’il lui ressemble physiquement, « même peau, mêmes mains, mêmes épaules… ». La chose est d’autant plus troublante lorsqu’est projetée sur lui l’image du dictateur au regard perçant. Mais l’écriture engagée de Véronique Kanor* révèle surtout un déroutant parallèle entre l’histoire ultramarine de Paul, dominée par un héritage colonialiste omniprésent, et l’action des forces occidentales qui aboutit, en 2011, à la disparition du dictateur libyen, « traqué comme un rat ». Tandis que Paul travaille son personnage, son besoin de revanche et sa colère se matérialisent dans des identités qui se confondent sur le plateau : Paul, Paul en Kadhafi, le véritable Kadhafi et bientôt, « tous les Kadhafi du monde ».
Identités plurielles, même combat
À partir de ces identifications multiples, se dessine le destin de celles et ceux un jour opprimés par l’Occident – des anciennes colonies françaises aux actuels Outre-Mer. S’imagine aussi celle de Mouammar Kadhafi, sauveur charismatique et libérateur pour les peuples du Sud, bien avant d’incarner pour l’Occident la figure de dictateur sanguinaire que l’on connaît. Considérant tout cela, qui est le plus monstrueux ? Le spectacle ne le dit pas. Mais bien sûr, le souvenir des horreurs commises par le colonel libyen nous invite rapidement à trancher. La colère et la haine éclatent dans le corps de Serge Abatucci. Le comédien défend parfaitement les multiples interprétations du spectacle. Il faut se battre, dit-il, alors qu’on ne sait plus vraiment quel homme se tient devant nous. Peu importe, Paul porte la « Révolution Kadhafi », de Port-au-Prince à Dakar et à Sarcelles, et dans toutes les arrières-cour du monde. Sans jamais nommer sa terre, que l’on devine guyanaise d’après les quelques indices qu’il sème çà et là. Moi, Kadhafi convoque une réflexion universelle sur la souveraineté des peuples et l’ingérence des grandes puissances. Un texte fort et nécessaire.
*Texte publié chez Caraïbéditions
Louise Chevillard
à 16h, relâche les 13, 20 et 27 juillet. Durée 1h15.
Tournée :
En Guyane, octobre 2022
Centre dramatique Kokolampoe
Puis à l’EPCC Les Trois Fleuves, Cayenne
En métropole, à partir de janvier 2023
Aux Antilles, mars 2023
Tropiques Atrium, Scène nationale de Martinique, puis
Artchipel, Scène nationale de Guadeloupe
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