La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Michel Vinaver et Arnaud Meunier

Michel Vinaver et Arnaud Meunier - Critique sortie Théâtre
Crédit visuel Vinaver : Ted Paczola Crédit visuel Meunier : Franck Beloncle

Publié le 10 janvier 2008

L’énigme de King, un utopiste capitaliste

Après La Demande d’emploi en 2006, Arnaud Meunier creuse le chemin qui l’unit à l’œuvre de Michel Vinaver avec King, une pièce retraçant l’existence de l’inventeur du rasoir à lames jetables, King Gillette. Le dramaturge et le jeune metteur en scène reviennent, ensemble, sur cette œuvre chorale.

Quels sont les aspects de l’écriture de Michel Vinaver qui passionnent le jeune metteur en scène que vous êtes ?
 
Arnaud Meunier : D’une part, pour reprendre l’expression d’Antoine Vitez, ce qui me captive dans cette écriture, c’est qu’elle est « insoluble ». Il s’agit d’une écriture-partition qui possède des aspects profondément musicaux, rythmiques, qui donne une formidable matière à jouer aux comédiens. C’est vraiment un théâtre d’acteurs, qui se situe en-dehors du débat Stanislavski/Brecht, un théâtre qui demande au comédien d’incarner profondément la parole, de se laisser traverser par elle. Car si cette parole est uniquement mise à distance, elle devient formelle, obscure. Ensuite, ce qui m’intéresse beaucoup dans l’écriture de Michel Vinaver, c’est qu’elle travaille sur l’ordinaire et la banalité. Elle est extrêmement engagée sur le monde contemporain, mais sans frontalité : elle intrigue, rend curieux, donne envie d’en savoir plus. Le spectateur est donc complètement partie prenante de la dramaturgie.
 
Michel Vinaver : Je suis entièrement d’accord. L’obliquité de mes textes fonctionne comme un véritable ressort d’énergie. Par exemple, King ne communique pas de message. Cette pièce est une invitation, pour le spectateur, à construire lui-même un imaginaire à partir de ce qu’il reçoit. De même, les acteurs peuvent s’inscrire dans un champ d’invention beaucoup plus large qu’avec une pièce développant une destination immédiatement perceptible. D’une certaine façon, on pourrait dire que le cubisme n’est pas étranger à ma façon d’écrire. D’ailleurs, il y a un nombre indéterminé de solutions qui peuvent répondre à la question du traitement du temps et de l’espace par rapport à la parole, à l’événement, et je dirais à l’histoire. Aussi bien l’histoire qui se raconte dans la pièce, que l’Histoire avec un grand H. Car, je crois que King est une pièce historienne. Elle raconte la transformation du mode de fonctionnement de l’économie à partir de la fin du XIXème siècle.
 
Cette pièce révèle également une double utopie…
 
M. V. : Oui. Le personnage de King — à l’instar de Saint-Simon, Fourier, Marx et bien d’autres — pense avoir trouvé le moyen de rendre l’humanité heureuse et harmonieuse à perpétuité. Mais il y a une utopie supplémentaire chez lui : il bâtit son plan sur la certitude qu’il parviendra à convaincre les capitalistes de collaborer à cette remise à plat totale du système, c’est-à-dire à la destruction du capitalisme. L’énigme de ce personnage ne réside pas dans le simple fait qu’il est le fondateur d’un des premiers empires industriels et qu’il aspire à voir disparaître le capitalisme, mais également dans le fait qu’il n’a pas du tout l’air de se rendre compte que cette dualité constitue une énigme. Il n’y a aucune forme d’introspection chez King, il ne se pose aucune question sur lui-même.
 
« L’obliquité de mes textes fonctionne comme un véritable ressort d’énergie. » Michel Vinaver
 
Nous avons parlé de certains thèmes qui parcourent la pièce. Il y en a un que nous n’avons pas encore évoqué et qui me paraît important, c’est le thème tragique du bannissement. King s’est fait éjecter de sa société par le système économique du fait de la crise de 1929. Il meurt donc ruiné dans une sorte de mélancolie, car l’entreprise qu’il a fondée ne lui appartient plus…

A. M
. : Ce qui est également très beau, c’est d’avoir procédé à un détriplement. Car King est incarné par trois comédiens, qui le représentent à trois âges de sa vie, tout en investissant également une bonne dizaine d’autres personnages. On a donc quelque chose de l’ordre de la démultiplication que je trouve très intéressant. Michel parlait de l’énigme du personnage de King, mais pour moi il y a une autre énigme : celle de sa propre écriture. D’un point de vue de la représentation scénique, cette pièce est presque de l’ordre de l’irreprésentable. Car elle change constamment de lieux et d’époques. Il y a donc une impossibilité à être dans un espace unique, daté et géographiquement déterminé. Pourtant, je suis persuadé que l’on ne peut pas se situer uniquement dans un espace mental. Il faut donc parvenir à donner des appuis à la parole, à la nourrir d’une grande vitalité, à créer des espaces multifonctionnels qui la spatialisent.
 
Vous avez évoqué un aspect tragique de King. Qu’en est-il, dans cette pièce, de ce que vous nommez la « déflagration comique » ?
 
M. V. : King Gillette n’a aucun sens de l’humour. Il ne fait preuve d’aucune ironie à l’égard de quoi que ce soit. Mais le spectateur, lui, reçoit un message profondément ironique du fait de la jonction improbable des deux aspects de ce personnage, mais aussi de l’écart entre ce qui est entrepris et ce qui en résulte, notamment le naufrage de King alors qu’il se sentait invincible. Une déflagration comique se produit donc, provenant de la déception des grandes attentes de King. Je crois que je ne peux pas écrire autrement qu’en proposant ce plaisir assez particulier d’un comique se situant au niveau presque moléculaire de l’action et du texte. Ce comique ne naît pas de vastes structures, mais de légers décalages d’une réplique à l’autre, ou même à l’intérieur d’une réplique, de gauchissements, des dérapages, d’aspérités…
 
A. M. : L’écriture de Michel Vinaver est une partition faite de ruptures rythmiques. Je pense que le comique vient de là. Si la forme est un élément de jeu, d’excitation, de curiosité, alors on retrouve le plaisir de l’enfant placé devant un rébus. Il y a quelque chose de très agencé dans ses pièces, de très pensé, une véritable beauté du raisonnement. Mais ce qui me touche beaucoup, c’est que cette beauté-là ne cherche jamais l’intimidation. Elle est le résultat d’un amour profond du théâtre.
 
Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat


 

King, de Michel Vinaver ; mise en scène d’Arnaud Meunier. Du 16 au 26 janvier 2008 à 20h30, sauf les jeudis 17 et 24 janvier à 19h30, le dimanche 20 à 16h00. Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines/Scène nationale, place Georges-Pompidou, Montigny-le-Bretonneux, 78054 Saint-Quentin-en-Yvelines. Réservations au 01 30 96 99 00. Texte publié par les éditions Actes Sud.

A propos de l'événement


x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre